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Aurélie William Levaux 
2021C011

Qu’as-tu ? je lui avais demandé, le voyant souffrant et grimaçant dans le lit. Une gastro, il avait répondu. Tu as mal au ventre, envie de vomir ? je l’avais questionné. Non, pas vraiment, j’ai mal partout, dans le dos, dans les bras, dans la gorge, dans les muscles, aux oreilles, enfin, partout, il avait énuméré. Ce sont des courbatures, tu dois avoir un peu de fièvre, j’avais analysé en lui tâtant le front. Souvent, quand il vit une contrariété, quand j’ose remettre notre vie en question ou me plains d’un détail de notre organisation ou de sa personnalité, il tombe malade. Peut-être n’y a-t-il aucun lien à faire, peut-être est-ce un hasard, mais je l’ai constaté à plusieurs reprises. Et qu’il tousse, éternue, ait une migraine ou soit fragile, il dit que c’est une gastro, toujours, je ne sais pas pourquoi, mais il dit ça. Alors toujours je le corrige, j’aime la précision des termes cliniques. Ce n’est pas une gastro, j’avais dit, peut-être un rhume, ça oui.

***

La veille, à la pompe à essence de la frontière belge, alors que nous devions faire encore un millier de choses à notre retour avant de repartir, du type: vider la caravane et la garer dans un champ, reconduire Alice-Allen chez elle, lancer trois machines de linge, trouver un nouveau gardien de chat pour la semaine suivante, régler une foule de machins administratifs et surtout répéter un peu correctement pour la tournée qui suivait, et on était loin, franchement très très loin d’être au point, je lui avais évoqué mon ras-le-bol de notre gestion foireuse. J’étais crevée, je me sentais perdre le fil, je pensais à mon ordinateur oublié à Caen, je ne savais plus pourquoi on devait toujours être en mouvement, je me disais que je m’y perdais, qu’on ne devrait pas enchaîner autant de dates et faire autant de trajets, que c’était de la folie, à la limite de la connerie, même. J’avais dit ça, puis, comprenant que j’y avais été un peu fort, m’étais reprise rapidement ne lésinant pas sur les compliments et les paroles mielleuses et avais pensé que ma saute d’humeur passerait crème. Le soir, il était tombé malade.

***

Le lendemain, je l’avais laissé se reposer. Quand on est malade, on se met en veille. Il s’était mis en veille. Il s’était empêché de bouger et avait évité de parler tout le jour durant. Comment te sens-tu, mon chéri ? étais-je venue lui demander à son chevet bien des heures plus tard. Pas bien du tout, il avait répondu sans me regarder. Ce doit être la fatigue, cette semaine a été épuisante, moi aussi je me sens un peu bof, je m’étais permis de lui resignaler en palpant à nouveau son front. Non, rien à voir avec la fatigue, la fatigue, moi, je la gère parfaitement, il avait soufflé, très grincheux. C’est une gastro, c’est certain que c’est une gastro, il m’avait soutenu en m’observant cette fois du coin de l’œil. Je retenais ma respiration pour mieux me taire. Dans les minutes qui avaient suivi, il s’était levé. Je vais faire un tour, il m’avait lancé. Son regard était vif et son pas assuré. Ah bon, tu vas mieux ? je m’étais étonnée joyeusement. J’ai besoin de m’aérer l’esprit et surtout de sortir de cette horrible ambiance féminine et belge, en plus, il avait jeté, avant de fermer avec grande vivacité la porte derrière lui. Non, ça n’était donc pas une gastro, je m’en étais doutée.

***

Une heure plus tard, mon père m’annonçait le décès de ma grand-mère.

 

Accrocher la caravane à la voiture et repartir en tournée
Aller à l’enterrement de la grand-mère

Qu’as-tu ? je lui avais demandé, le voyant souffrant et grimaçant dans le lit. Une gastro, il avait répondu. Tu as mal au ventre, envie de vomir ? je l’avais questionné. Non, pas vraiment, j’ai mal partout, dans le dos, dans les bras, dans la gorge, dans les muscles, aux oreilles, enfin, partout, il avait énuméré. Ce sont des courbatures, tu dois avoir un peu de fièvre, j’avais analysé en lui tâtant le front. Souvent, quand il vit une contrariété, quand j’ose remettre notre vie en question ou me plains d’un détail de notre organisation ou de sa personnalité, il tombe malade. Peut-être n’y a-t-il aucun lien à faire, peut-être est-ce un hasard, mais je l’ai constaté à plusieurs reprises. Et qu’il tousse, éternue, ait une migraine ou soit fragile, il dit que c’est une gastro, toujours, je ne sais pas pourquoi, mais il dit ça. Alors toujours je le corrige, j’aime la précision des termes cliniques. Ce n’est pas une gastro, j’avais dit, peut-être un rhume, ça oui.

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La veille, à la pompe à essence de la frontière belge, alors que nous devions faire encore un millier de choses à notre retour avant de repartir, du type: vider la caravane et la garer dans un champ, reconduire Alice-Allen chez elle, lancer trois machines de linge, trouver un nouveau gardien de chat pour la semaine suivante, régler une foule de machins administratifs et surtout répéter un peu correctement pour la tournée qui suivait, et on était loin, franchement très très loin d’être au point, je lui avais évoqué mon ras-le-bol de notre gestion foireuse. J’étais crevée, je me sentais perdre le fil, je pensais à mon ordinateur oublié à Caen, je ne savais plus pourquoi on devait toujours être en mouvement, je me disais que je m’y perdais, qu’on ne devrait pas enchaîner autant de dates et faire autant de trajets, que c’était de la folie, à la limite de la connerie, même. J’avais dit ça, puis, comprenant que j’y avais été un peu fort, m’étais reprise rapidement ne lésinant pas sur les compliments et les paroles mielleuses et avais pensé que ma saute d’humeur passerait crème. Le soir, il était tombé malade.

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Le lendemain, je l’avais laissé se reposer. Quand on est malade, on se met en veille. Il s’était mis en veille. Il s’était empêché de bouger et avait évité de parler tout le jour durant. Comment te sens-tu, mon chéri ? étais-je venue lui demander à son chevet bien des heures plus tard. Pas bien du tout, il avait répondu sans me regarder. Ce doit être la fatigue, cette semaine a été épuisante, moi aussi je me sens un peu bof, je m’étais permis de lui resignaler en palpant à nouveau son front. Non, rien à voir avec la fatigue, la fatigue, moi, je la gère parfaitement, il avait soufflé, très grincheux. C’est une gastro, c’est certain que c’est une gastro, il m’avait soutenu en m’observant cette fois du coin de l’œil. Je retenais ma respiration pour mieux me taire. Dans les minutes qui avaient suivi, il s’était levé. Je vais faire un tour, il m’avait lancé. Son regard était vif et son pas assuré. Ah bon, tu vas mieux ? je m’étais étonnée joyeusement. J’ai besoin de m’aérer l’esprit et surtout de sortir de cette horrible ambiance féminine et belge, en plus, il avait jeté, avant de fermer avec grande vivacité la porte derrière lui. Non, ça n’était donc pas une gastro, je m’en étais doutée.

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Une heure plus tard, mon père m’annonçait le décès de ma grand-mère.

 

Accrocher la caravane à la voiture et repartir en tournée
Aller à l’enterrement de la grand-mère