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Réseau des Autrices

Résidences expérimentales

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ANA CAZOR
2022A025

 

L’Océan, première vague

 

Cercle bleui, Irène s’enfouit,
Ses deux pieds ne touchent plus le sol,
Son corps s’agite, les bras en moulinets.
Les mots se décomposent
Et les phrases se perdent
Dans le souffle puissant.
L’esprit s’évapore entre ses dents.

Irène: « Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… »

Yeux gonflés, de plus en plus luisants
Consonnes chuchotées de l’Océan,
Le visage s’exalte et s’épanouit,
À chaque vague, il envisage l’infini.
La bouche ouverte, les dents serrées,
Le plaisir tangue et vogue.

Irène veut me faire entendre l’Océan,
Me faire comprendre l’humeur de ses embruns
Quel que soit le temps,
Peu importe les passants,
Peu importe les jugements.

À force de luire,
À force de ne pas cligner,
Ses yeux versent des larmes de sel,
Trainées blanches sur ses joues séchées.

Et moi je suis happé. Je l’imagine pleurer des gouttes de sang, devenir vampire de la mer et servir le client : « Monsieur est-il satisfait de son crustacé ? » Sourire carnassier, regard dévorant et toujours ce chuchotement.

« Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… »

C’est entièrement de ma faute si on en est arrivé là.

***

Plus tôt, je l’avais évoquée avec Irène, la femme suspendue face à l’Océan. D’emblée, troublée, elle avait voulu savoir comment je pouvais être si sûr que la femme suspendue y était allée, sûr que je ne l’avais pas confondue avec quelqu’un d’autre alors que je ne lui avais même pas parlé. Affirmatif, j’ai dit que je l’avais, de mes yeux, vue. Je n’ai pas souhaité lui détailler les entrailles de mes intuitions, de mes errements et de mes convictions. Ce qu’elle ne comprenait vraiment pas, Irène, c’est pourquoi moi, depuis tout le temps que j’étais là, à l’hôtel, je n’avais pas encore poussé jusqu’à l’Océan, pour vérifier. Ce n’est pas que je n’y avais pas pensé, à aller voir si elle y était, là-bas, la femme suspendue, c’est juste que l’Océan, pour moi, c’est un peu trop grand.

Je ne suis pas très à l’aise avec l’eau,
J’ai peur d’être électrocuté,
Il ne faut pas que j’y pense trop.
Pour moi, l’Océan, c’est un peu grand.
L’Océan ou la mer, je préfère en poster,
Même avec un coin manquant.

Irène a trouvé ça insensé que je puisse lui parler si précisément de la femme suspendue derrière la butte face à l’Océan, de son corps un peu vouté, de ses cheveux longs, filandreux et grisés, sans que je ne puisse lui dire si elle était vraiment suspendue ou juste posée là, de l’autre côté de la butte ou d’une dune d’ailleurs, qu’est-ce que j’en sais ?

Irène trouvait ça fou que je ne sois pas allé lui parler. Je lui ai redit ce que je lui avais déjà dit, que j’avais peur de la faire tomber et que je ne pouvais pas, décemment, m’approcher, mais tout en le disant, je me rendais bien compte qu’il y avait quelque chose qui clochait. Alors je me suis raccroché au concret, aux faits, ceux qui ne mentent pas. Je me suis contenté de décrire la scène, telle que je la revois, là, tandis que je parle avec Irène.

Face à elle, l’Océan carnivore.
Il n’y a pas de ciel, pas d’horizon.
Elle est là, suspendue,
D’autres diraient posée.
On pourrait la confondre avec un rocher,
Elle ne bouge pas, rien,
Le vent n’a pas de prise
Même ses cheveux sont figés.

Le haut de son corps,
Depuis ses reins jusqu’au-dessus de son crâne
Dépasse de la butte, un tas de sable,
Je ne sais pas ce que c’est.

Elle est à peine voûtée,
ge incertain dans sa posture habituelle.
Non, autant que je m’en souvienne,
Il n’y avait pas de vent.
Il y en a rarement près de l’Océan.

C’est là qu’Irène a commencé à douter de ce que je lui disais. Elle m’a bombardé de questions : « Comment était le ciel ?

Y avait-il des goélands ?

À quel rythme les vagues s’écrasaient-elles ?

Quel bruit est-ce qu’elles faisaient ?

Y avait-il beaucoup de gens ?

Tu es sûr que tu ne l’as pas confondue avec un rocher ?

À quelle saison c’était ?

Mais enfin, une butte ou une dune, ce n’est pas pareil… »

De questions en injonctions, Irène s’est montrée de plus en plus suspicieuse…

« Décris-moi le parfum des embruns. Colore les nuances de l’Océan. Décris-moi ce paysage, ce n’est pas clair… »

À force de m’interroger, Irène a fini par me faire douter.
À choisir, j’aurais préféré être celui qui l’a vue, la femme suspendue.
Irène n’a pas eu l’air de m’en vouloir.
Elle m’a même promis de m’y emmener à l’Océan, pour vérifier.

En attendant, elle est là à rouler des yeux et des hanches, à suer du sang et des larmes de gros sel, à faire des vagues avec son corps et des dessins sur le gravier pour me faire comprendre que l’Océan ce n’est pas juste une nappe bleue, ce n’est pas rien qu’un aplat d’électricité.

« Tu n’as pas besoin d’avoir peur » me susurre-t-elle à l’oreille, sensuelle, avant de poursuivre : « Viens, je t’emmène ». Elle a cessé de gigoter et déjà son regard se drape d’une nouvelle fierté.

ANA CAZOR
2022A025

 

L’Océan, première vague

 

Cercle bleui, Irène s’enfouit,
Ses deux pieds ne touchent plus le sol,
Son corps s’agite, les bras en moulinets.
Les mots se décomposent
Et les phrases se perdent
Dans le souffle puissant.
L’esprit s’évapore entre ses dents.

Irène: « Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… »

Yeux gonflés, de plus en plus luisants
Consonnes chuchotées de l’Océan,
Le visage s’exalte et s’épanouit,
À chaque vague, il envisage l’infini.
La bouche ouverte, les dents serrées,
Le plaisir tangue et vogue.

Irène veut me faire entendre l’Océan,
Me faire comprendre l’humeur de ses embruns
Quel que soit le temps,
Peu importe les passants,
Peu importe les jugements.

À force de luire,
À force de ne pas cligner,
Ses yeux versent des larmes de sel,
Trainées blanches sur ses joues séchées.

Et moi je suis happé. Je l’imagine pleurer des gouttes de sang, devenir vampire de la mer et servir le client : « Monsieur est-il satisfait de son crustacé ? » Sourire carnassier, regard dévorant et toujours ce chuchotement.

« Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… Schhh… Schhhh… SchHHhhh… Schhhhhh… SHHhhh… ShhhHHH… »

C’est entièrement de ma faute si on en est arrivé là.

***

Plus tôt, je l’avais évoquée avec Irène, la femme suspendue face à l’Océan. D’emblée, troublée, elle avait voulu savoir comment je pouvais être si sûr que la femme suspendue y était allée, sûr que je ne l’avais pas confondue avec quelqu’un d’autre alors que je ne lui avais même pas parlé. Affirmatif, j’ai dit que je l’avais, de mes yeux, vue. Je n’ai pas souhaité lui détailler les entrailles de mes intuitions, de mes errements et de mes convictions. Ce qu’elle ne comprenait vraiment pas, Irène, c’est pourquoi moi, depuis tout le temps que j’étais là, à l’hôtel, je n’avais pas encore poussé jusqu’à l’Océan, pour vérifier. Ce n’est pas que je n’y avais pas pensé, à aller voir si elle y était, là-bas, la femme suspendue, c’est juste que l’Océan, pour moi, c’est un peu trop grand.

Je ne suis pas très à l’aise avec l’eau,
J’ai peur d’être électrocuté,
Il ne faut pas que j’y pense trop.
Pour moi, l’Océan, c’est un peu grand.
L’Océan ou la mer, je préfère en poster,
Même avec un coin manquant.

Irène a trouvé ça insensé que je puisse lui parler si précisément de la femme suspendue derrière la butte face à l’Océan, de son corps un peu vouté, de ses cheveux longs, filandreux et grisés, sans que je ne puisse lui dire si elle était vraiment suspendue ou juste posée là, de l’autre côté de la butte ou d’une dune d’ailleurs, qu’est-ce que j’en sais ?

Irène trouvait ça fou que je ne sois pas allé lui parler. Je lui ai redit ce que je lui avais déjà dit, que j’avais peur de la faire tomber et que je ne pouvais pas, décemment, m’approcher, mais tout en le disant, je me rendais bien compte qu’il y avait quelque chose qui clochait. Alors je me suis raccroché au concret, aux faits, ceux qui ne mentent pas. Je me suis contenté de décrire la scène, telle que je la revois, là, tandis que je parle avec Irène.

Face à elle, l’Océan carnivore.
Il n’y a pas de ciel, pas d’horizon.
Elle est là, suspendue,
D’autres diraient posée.
On pourrait la confondre avec un rocher,
Elle ne bouge pas, rien,
Le vent n’a pas de prise
Même ses cheveux sont figés.

Le haut de son corps,
Depuis ses reins jusqu’au-dessus de son crâne
Dépasse de la butte, un tas de sable,
Je ne sais pas ce que c’est.

Elle est à peine voûtée,
ge incertain dans sa posture habituelle.
Non, autant que je m’en souvienne,
Il n’y avait pas de vent.
Il y en a rarement près de l’Océan.

C’est là qu’Irène a commencé à douter de ce que je lui disais. Elle m’a bombardé de questions : « Comment était le ciel ?

Y avait-il des goélands ?

À quel rythme les vagues s’écrasaient-elles ?

Quel bruit est-ce qu’elles faisaient ?

Y avait-il beaucoup de gens ?

Tu es sûr que tu ne l’as pas confondue avec un rocher ?

À quelle saison c’était ?

Mais enfin, une butte ou une dune, ce n’est pas pareil… »

De questions en injonctions, Irène s’est montrée de plus en plus suspicieuse…

« Décris-moi le parfum des embruns. Colore les nuances de l’Océan. Décris-moi ce paysage, ce n’est pas clair… »

À force de m’interroger, Irène a fini par me faire douter.
À choisir, j’aurais préféré être celui qui l’a vue, la femme suspendue.
Irène n’a pas eu l’air de m’en vouloir.
Elle m’a même promis de m’y emmener à l’Océan, pour vérifier.

En attendant, elle est là à rouler des yeux et des hanches, à suer du sang et des larmes de gros sel, à faire des vagues avec son corps et des dessins sur le gravier pour me faire comprendre que l’Océan ce n’est pas juste une nappe bleue, ce n’est pas rien qu’un aplat d’électricité.

« Tu n’as pas besoin d’avoir peur » me susurre-t-elle à l’oreille, sensuelle, avant de poursuivre : « Viens, je t’emmène ». Elle a cessé de gigoter et déjà son regard se drape d’une nouvelle fierté.