Roman ouvert à la page 81
2020A011
Éva fixe longtemps la porte de la chambre sans faire attention à la cendre de sa cigarette qui s’écrase sur sa peau. Le rythme des battements de son cœur ne s’est pas encore complètement apaisé. Elle observe l’image de son amant s’effacer et respire. Se shoote aux arômes puissants de sueur, d’haleine et de sécrétions qui saturent l’air. Avec l’arrivée des enfants, toutes ces odeurs ont disparu de son appartement. Même après l’amour, c’est le parfum de l’assouplissant, de l’after-shave de Jérôme, du jasmin sur le rebord de la fenêtre qui domine. Les personnes dans son monde idéal ne laissent plus leur trace, disparaissent sous des couches de bien-être, de détergents et de parfums d’ambiance. Interchangeables et invisibles. Serait-elle capable comme les chiens de reconnaître ses enfants rien qu’en les reniflant ? Rien n’est moins sûr. Après chaque accouchement, l’odeur du désinfectant plus que celle du sang recouvrant la peau fripée de ses bébés s’est profondément inscrite dans sa mémoire. Seule, dans cette chambre d’hôtel anonyme, Éva parvient à nouveau à respirer le vivant.