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J’ai de la difficulté à dormir à cause des cauchemars. Dès que je m’endors, il semble y avoir un mécanisme psychique qui m’oppose au sommeil. Ce grand lit blanc m’apporte du confort, mais aucun repos, dans la chambre 77. Je comprends qu’on nous garde confinées, mais je pense que ce n’est pas la meilleure chose pour la psyché des filles qui arrivent ici et qui ont vécu la guerre, les camps ou la prison. Je me demande comment va Nadia. Est-elle dans une chambre elle aussi ? Je sais que c’est temporaire, on m’a bien traitée ici, on m’a nourrie. Mais cet enfermement ressemble à tous les autres.

J’ai besoin de quelque chose qui me sorte de ce qu’il y a dans ma tête. Depuis quelques jours, je fais des mises en scène avec la nourriture. Retrouver les actes simples de la préparation des repas me donne un sentiment de retour à la normale. J’ai des assiettes, tous les outils qu’il faut. Je vois ce persil vert et ce citron. Je suis comme subjuguée par la beauté des fruits.

*

J’ai regardé tous les jours mon cellulaire qui macère dans le bol de semoule, depuis une semaine. Puis en l’observant, abattue d’avance, j’ai compris qu’il allait fonctionner. Cette petite machine est devenue comme une partie prolongée de mon corps dans les dernières années. Peut-être de mon bras ou de mon cerveau. J’ai développé une tendinite au poignet à force de faire défiler.

C’est le seul outil qui me permette d’entrer en communication avec ma famille, mes amies et amis. Malheureusement, je ne trouve aucune connexion. Mais on dirait que juste de l’avoir qui fonctionne dans ma main, me donne comme un second souffle.

J’ai retrouvé ce membre fantôme qui m’aide à créer l’image, la conserver. Tenir la mémoire prisonnière. Je veux garder l’instant de la beauté, l’emmagasiner. Je pense à la scénographie de ce moment étrange, entre le deuil de quelque chose et le commencement d’une autre. Je retrouve la possibilité de me narrer. Je suis à cinquante-cinq pour cent de batterie. Je filme, un court instant, la couleur des végétaux et l’éteins.

 

*

L’exploration des fruits m’amène à jouer, comme petite, avec quelques mottes de terre ou des brindilles, sur les champs de la famille avec mes sœurs. Mes parents ont toujours travaillé dans cette plantation du littoral. Hier, les citrons sont devenus des bombes.

 

*

J’entends des cris entre les murs ou alors ce sont des inventions qui me ramènent à la prison. Est-ce ma petite Nadia qui me cherche dans ses cauchemars ? Ce n’est pas une chose à laquelle mon cerveau se permet de repenser. Il me revient quelques bribes. Surtout les coups et le plancher froid. Je pense que nos esprits sont bien faits pour éviter que l’on sombre dans la macération d’idées noires. Ce spasme me prévient physiquement du danger de la remémoration.

*

Je me promène dans la chambre et sa salle de bain, avec mes citrons qui sont devenus mes petites sœurs. Il faut retrouver l’instinct du jeu pour narrer les passés qu’on nous a volés.

J’ai un couteau préféré qui tranche très bien les peaux des fruits. Je m’amuse avec sa lame sur les céramiques de la salle de bain.

Je ne sais plus depuis combien de jours je suis ici. Il me semble que Romane m’avait parlé d’une quatorzaine.

Je creuse cet espace entre les céramiques des murs de la salle de bain.

 

Sortir de la chambre

J’ai de la difficulté à dormir à cause des cauchemars. Dès que je m’endors, il semble y avoir un mécanisme psychique qui m’oppose au sommeil. Ce grand lit blanc m’apporte du confort, mais aucun repos, dans la chambre 77. Je comprends qu’on nous garde confinées, mais je pense que ce n’est pas la meilleure chose pour la psyché des filles qui arrivent ici et qui ont vécu la guerre, les camps ou la prison. Je me demande comment va Nadia. Est-elle dans une chambre elle aussi ? Je sais que c’est temporaire, on m’a bien traitée ici, on m’a nourrie. Mais cet enfermement ressemble à tous les autres.

J’ai besoin de quelque chose qui me sorte de ce qu’il y a dans ma tête. Depuis quelques jours, je fais des mises en scène avec la nourriture. Retrouver les actes simples de la préparation des repas me donne un sentiment de retour à la normale. J’ai des assiettes, tous les outils qu’il faut. Je vois ce persil vert et ce citron. Je suis comme subjuguée par la beauté des fruits.

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J’ai regardé tous les jours mon cellulaire qui macère dans le bol de semoule, depuis une semaine. Puis en l’observant, abattue d’avance, j’ai compris qu’il allait fonctionner. Cette petite machine est devenue comme une partie prolongée de mon corps dans les dernières années. Peut-être de mon bras ou de mon cerveau. J’ai développé une tendinite au poignet à force de faire défiler.

C’est le seul outil qui me permette d’entrer en communication avec ma famille, mes amies et amis. Malheureusement, je ne trouve aucune connexion. Mais on dirait que juste de l’avoir qui fonctionne dans ma main, me donne comme un second souffle.

J’ai retrouvé ce membre fantôme qui m’aide à créer l’image, la conserver. Tenir la mémoire prisonnière. Je veux garder l’instant de la beauté, l’emmagasiner. Je pense à la scénographie de ce moment étrange, entre le deuil de quelque chose et le commencement d’une autre. Je retrouve la possibilité de me narrer. Je suis à cinquante-cinq pour cent de batterie. Je filme, un court instant, la couleur des végétaux et l’éteins.

 

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L’exploration des fruits m’amène à jouer, comme petite, avec quelques mottes de terre ou des brindilles, sur les champs de la famille avec mes sœurs. Mes parents ont toujours travaillé dans cette plantation du littoral. Hier, les citrons sont devenus des bombes.

 

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J’entends des cris entre les murs ou alors ce sont des inventions qui me ramènent à la prison. Est-ce ma petite Nadia qui me cherche dans ses cauchemars ? Ce n’est pas une chose à laquelle mon cerveau se permet de repenser. Il me revient quelques bribes. Surtout les coups et le plancher froid. Je pense que nos esprits sont bien faits pour éviter que l’on sombre dans la macération d’idées noires. Ce spasme me prévient physiquement du danger de la remémoration.

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Je me promène dans la chambre et sa salle de bain, avec mes citrons qui sont devenus mes petites sœurs. Il faut retrouver l’instinct du jeu pour narrer les passés qu’on nous a volés.

J’ai un couteau préféré qui tranche très bien les peaux des fruits. Je m’amuse avec sa lame sur les céramiques de la salle de bain.

Je ne sais plus depuis combien de jours je suis ici. Il me semble que Romane m’avait parlé d’une quatorzaine.

Je creuse cet espace entre les céramiques des murs de la salle de bain.

 

Sortir de la chambre