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Réseau des Autrices

Résidences expérimentales

Réseau des Autrices

experimentelle Residenzen

Ana Cazor
2022A006

 

Visite nocturne 1

 

Plus tard dans la nuit, à quatre heures trente du matin j’aurai vraiment faim, de ces faims qui vous trouent le ventre, pas juste l’estomac, de celles qui remontent par l’œsophage pour finir par vous grignoter le cerveau, de ces faims qui peuvent rendre fou. 

Avant ça, il s’est passé quelque chose de pas normal, tandis que je vis cet instant brisé par la pensée du service du soir terminé. Je dis « pas normal », mais je pourrais dire « paranormal » que ça ne serait pas exagéré. Je dis « pas normal » plutôt que « paranormal », car je ne veux pas passer pour celui qui est…

Je suis là, à rouvrir les yeux, à taquiner l’inédit, cette sensation de déjà vécu. En d’autres temps, je m’interrogerais : « souvenir créé, instant raconté, rêvé, ou déjà vécu – pour de vrai ? Allongé sur ce lit rebondi, dans cette chambre-ci… ». Je chercherais des indices. En d’autres temps, je me connais… Ce n’est pas ce qui se passe. 

Dans la mesure où je suis là,
J’aimerais savoir…
Ça m’aiderait,
Impossible souvenir…
Je ne suis pas là par hasard,
Je ne joue pas, je suis plutôt raisonnable.
Si moi je ne la cherche pas, qui le fera ?
Je n’ai pas le choix.
C’est pour ça que je suis venu, pour tout le temps possible.
Comment savoir si l’on me l’a conté ou si je l’ai vécu ?
À choisir, je préfèrerais être celui qui l’a vue…
… La femme suspendue. 

Je me demande si je vais la retrouver. 

 

CE N’EST PAS CE QUI SE PASSE. 

 

Donc, je suis là, à rouvrir les yeux, à taquiner l’inédit, cette sensation de déjà vécu, quand tout à coup mon souffle s’allonge, pas un ronflement non, un souffle d’air qui monte directement dans mon front. Mon ventre se gonfle et monte, puis redescend lentement en même temps que mes épaules s’abaissent. Je le sens et aussi l’air dans mes narines et aussi ce bien-être dans mon cerveau et dans tout le reste de mon corps. Mon visage s’étale et mes lèvres sourient béates. C’est un peu gênant… 

Je viens de rouvrir les yeux donc, que déjà, mes paupières s’alourdissent d’une façon irrésistible, je me mettrais presque à bailler. Inquiétude flash, risque de sommeil, mais pas de tension, je reste zen. 

Là, c’est maintenant, attention, qu’il se passe quelque chose de pas normal. 

Un à un, chacun des membres de mon corps est en train de se statufier : je suis scotché sur le sommier. Je ne peux pas envisager de bouger. Je n’en ai même pas l’idée. 

Seul mon souffle court et m’enlève à mon corps,
Je sors de moi et regarde encore.
Je ne bouge pas,
Une statue, je vous dis.
Certains diraient un mort.
Tant qu’on y est, un cadavre, pourquoi pas ?
Je ne les écoute pas.
Je regarde ma silhouette immobile
Posée, lourde, sur cette nappe aux fleurs roussies,
Méandres automnaux du couvre-lit.
Si le plafonnier n’était pas cassé,
Je me verrais sous le projecteur braqué,
Comme dans un film de terreur.
Je n’aimerais pas beaucoup ça.
Ça pourrait bien me faire peur.

 

       Merci @Thiago Rosa pour l’illustration

Ana Cazor
2022A006

 

Visite nocturne 1

 

Plus tard dans la nuit, à quatre heures trente du matin j’aurai vraiment faim, de ces faims qui vous trouent le ventre, pas juste l’estomac, de celles qui remontent par l’œsophage pour finir par vous grignoter le cerveau, de ces faims qui peuvent rendre fou. 

Avant ça, il s’est passé quelque chose de pas normal, tandis que je vis cet instant brisé par la pensée du service du soir terminé. Je dis « pas normal », mais je pourrais dire « paranormal » que ça ne serait pas exagéré. Je dis « pas normal » plutôt que « paranormal », car je ne veux pas passer pour celui qui est…

Je suis là, à rouvrir les yeux, à taquiner l’inédit, cette sensation de déjà vécu. En d’autres temps, je m’interrogerais : « souvenir créé, instant raconté, rêvé, ou déjà vécu – pour de vrai ? Allongé sur ce lit rebondi, dans cette chambre-ci… ». Je chercherais des indices. En d’autres temps, je me connais… Ce n’est pas ce qui se passe. 

Dans la mesure où je suis là,
J’aimerais savoir…
Ça m’aiderait,
Impossible souvenir…
Je ne suis pas là par hasard,
Je ne joue pas, je suis plutôt raisonnable.
Si moi je ne la cherche pas, qui le fera ?
Je n’ai pas le choix.
C’est pour ça que je suis venu, pour tout le temps possible.
Comment savoir si l’on me l’a conté ou si je l’ai vécu ?
À choisir, je préfèrerais être celui qui l’a vue…
… La femme suspendue. 

Je me demande si je vais la retrouver. 

 

CE N’EST PAS CE QUI SE PASSE. 

 

Donc, je suis là, à rouvrir les yeux, à taquiner l’inédit, cette sensation de déjà vécu, quand tout à coup mon souffle s’allonge, pas un ronflement non, un souffle d’air qui monte directement dans mon front. Mon ventre se gonfle et monte, puis redescend lentement en même temps que mes épaules s’abaissent. Je le sens et aussi l’air dans mes narines et aussi ce bien-être dans mon cerveau et dans tout le reste de mon corps. Mon visage s’étale et mes lèvres sourient béates. C’est un peu gênant… 

Je viens de rouvrir les yeux donc, que déjà, mes paupières s’alourdissent d’une façon irrésistible, je me mettrais presque à bailler. Inquiétude flash, risque de sommeil, mais pas de tension, je reste zen. 

Là, c’est maintenant, attention, qu’il se passe quelque chose de pas normal. 

Un à un, chacun des membres de mon corps est en train de se statufier : je suis scotché sur le sommier. Je ne peux pas envisager de bouger. Je n’en ai même pas l’idée. 

Seul mon souffle court et m’enlève à mon corps,
Je sors de moi et regarde encore.
Je ne bouge pas,
Une statue, je vous dis.
Certains diraient un mort.
Tant qu’on y est, un cadavre, pourquoi pas ?
Je ne les écoute pas.
Je regarde ma silhouette immobile
Posée, lourde, sur cette nappe aux fleurs roussies,
Méandres automnaux du couvre-lit.
Si le plafonnier n’était pas cassé,
Je me verrais sous le projecteur braqué,
Comme dans un film de terreur.
Je n’aimerais pas beaucoup ça.
Ça pourrait bien me faire peur.

 

Merci @Thiago Rosa pour l’illustration