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Réseau des Autrices

Résidences expérimentales

Réseau des Autrices

experimentelle Residenzen

Isabelle Rainaldi
2022A039

 

Peut-être vous demandez-vous qui je suis ? M’avez-vous déjà vue quelque part ? Mon visage vous est-il familier ? Je suis déjà venue à Berlin, vous savez, c’était peut-être à ce moment-là que l’on s’est vu, mais j’étais plutôt à l’Ouest c’est le cas de le dire. Enfin je le suis encore. Mon GPS tourne dans tous les sens et j’ai confondu Hermann strasse et Hermannplatz et je ne sais pas la différence entre le U Bahn et le S Bahn. Mon seul repère reste la Fernsehturm, surtout la nuit avec ses gros yeux rouges d’insecte carnivore.
Peut-être que mon accent vous fait rire… Vous avez sans doute deviné que je suis une fille du Sud, une Marseillaise exactement, une Marseillaise authentique depuis quatre générations, c’est assez rare pour être souligné, surtout depuis que Marseille est devenue glamour. Si, si, sur Instagram surtout. Marseille, c’est chic et crasseux à la fois, un savant mélange de paysages sublimes et de poubelles débordantes, saupoudré de paillettes senteur lavande.
Mon histoire commence d’ailleurs à Marseille sur la plage des Catalans, la plus proche du Vieux Port, vous connaissez ? On peut l’atteindre sans problème à pied ou en prenant le bus 83 toujours surchargé. Ce jour-là, un jour comme tous les autres, bien trop chaud pour un automne, la plage était bondée. Il y avait cependant peu de personnes dans l’eau sans doute à cause du coup de mistral des jours précédents. Un de ces coups de zef, comme on dit ici, qui peut faire baisser la température d’une bonne dizaine de degrés en quelques heures.
Je m’armais de courage, mes gènes de Marseillaise habituée à ces brusques refroidissements prenant le dessus, j’entrais courageusement dans l’eau d’un bleu céruléen aussi transparente que sur une story Insta. Elle était si limpide que me sauta immédiatement aux yeux le globe pourpre d’une méduse, à quelques centimètres de mes mollets . Surnageant avec peine avec quelques-unes de ses congénères, pétrifiée par l’onde glaciale, la créature ne perdait rien de son pouvoir terrifiant. À mes côtés, des spécimens humains scrutaient comme moi les flots avec anxiété sous la lumière rasante d’un jour déjà enfui, les bras repliés sous leurs aisselles, comme des dinosaures en voie d’extinction.
Vous vous demandez où je veux en venir ? À Marseille, on aime bien raconter des histoires et les faire durer en ajoutant plein de détails, mais bon je vous la fais courte. C’est en fuyant cette baille dangereuse que mon pied nu heurta une bouteille de bière à demi enfouie dans le sable. Tout en pestant contre ces maudits touristes qui salopaient tout et en vouant à la mort les influenceurs débiles qui les attiraient dans notre belle cité phocéenne, je déterrai la canette et l’emportai avec moi sur la plage. Un déchet par jour disait le slogan, je comptais bien la jeter en partant.
Une fois assise sur ma serviette décolorée, je constatais que la bouteille contenait une feuille enroulée sur elle-même. Impossible de la sortir avec mes doigts boudinés. Deux filles, topless, aisselles non épilées, fumaient un joint juste à côté. Intriguée par mon manège, l’une d’elle vint me proposer son aide bientôt rejointe par sa compagne. Nous échangeâmes moitié en anglais, moitié en allemand. Elles se révélèrent tout aussi incapables que moi de récupérer le parchemin. Après plusieurs essais, la seule solution fut de casser la bouteille, ce que nous fîmes sur les rochers. Et dans ses éclats émeraude, se trouvait ce message étrange.

 

 

Nous nous sommes regardées avec les filles aux seins nus sans comprendre. Dans ma tête, surgit une phrase que j’avais dû noter, sans mentionner le nom de l’autrice.

“Nous, les femmes, nous bousculons tout.”

Qui avait bien pu dire cela ? Peut-être Simone Veil. Mon carnet à couverture de cuir violet était rempli de ces citations d’inconnues qui venaient de temps en temps me tirer de ma bulle ensoleillée.

Il était sans doute plus que temps de tout bousculer. Je relevais la tête fièrement, un avion traçait son sillage au-dessus de moi.

Isabelle Rainaldi
2022A039

 

Peut-être vous demandez-vous qui je suis ? M’avez-vous déjà vue quelque part ? Mon visage vous est-il familier ? Je suis déjà venue à Berlin, vous savez, c’était peut-être à ce moment-là que l’on s’est vu, mais j’étais plutôt à l’Ouest c’est le cas de le dire. Enfin je le suis encore. Mon GPS tourne dans tous les sens et j’ai confondu Hermann strasse et Hermannplatz et je ne sais pas la différence entre le U Bahn et le S Bahn. Mon seul repère reste la Fernsehturm, surtout la nuit avec ses gros yeux rouges d’insecte carnivore.
Peut-être que mon accent vous fait rire… Vous avez sans doute deviné que je suis une fille du Sud, une Marseillaise exactement, une Marseillaise authentique depuis quatre générations, c’est assez rare pour être souligné, surtout depuis que Marseille est devenue glamour. Si, si, sur Instagram surtout. Marseille, c’est chic et crasseux à la fois, un savant mélange de paysages sublimes et de poubelles débordantes, saupoudré de paillettes senteur lavande.
Mon histoire commence d’ailleurs à Marseille sur la plage des Catalans, la plus proche du Vieux Port, vous connaissez ? On peut l’atteindre sans problème à pied ou en prenant le bus 83 toujours surchargé. Ce jour-là, un jour comme tous les autres, bien trop chaud pour un automne, la plage était bondée. Il y avait cependant peu de personnes dans l’eau sans doute à cause du coup de mistral des jours précédents. Un de ces coups de zef, comme on dit ici, qui peut faire baisser la température d’une bonne dizaine de degrés en quelques heures.
Je m’armais de courage, mes gènes de Marseillaise habituée à ces brusques refroidissements prenant le dessus, j’entrais courageusement dans l’eau d’un bleu céruléen aussi transparente que sur une story Insta. Elle était si limpide que me sauta immédiatement aux yeux le globe pourpre d’une méduse, à quelques centimètres de mes mollets . Surnageant avec peine avec quelques-unes de ses congénères, pétrifiée par l’onde glaciale, la créature ne perdait rien de son pouvoir terrifiant. À mes côtés, des spécimens humains scrutaient comme moi les flots avec anxiété sous la lumière rasante d’un jour déjà enfui, les bras repliés sous leurs aisselles, comme des dinosaures en voie d’extinction.
Vous vous demandez où je veux en venir ? À Marseille, on aime bien raconter des histoires et les faire durer en ajoutant plein de détails, mais bon je vous la fais courte. C’est en fuyant cette baille dangereuse que mon pied nu heurta une bouteille de bière à demi enfouie dans le sable. Tout en pestant contre ces maudits touristes qui salopaient tout et en vouant à la mort les influenceurs débiles qui les attiraient dans notre belle cité phocéenne, je déterrai la canette et l’emportai avec moi sur la plage. Un déchet par jour disait le slogan, je comptais bien la jeter en partant.
Une fois assise sur ma serviette décolorée, je constatais que la bouteille contenait une feuille enroulée sur elle-même. Impossible de la sortir avec mes doigts boudinés. Deux filles, topless, aisselles non épilées, fumaient un joint juste à côté. Intriguée par mon manège, l’une d’elle vint me proposer son aide bientôt rejointe par sa compagne. Nous échangeâmes moitié en anglais, moitié en allemand. Elles se révélèrent tout aussi incapables que moi de récupérer le parchemin. Après plusieurs essais, la seule solution fut de casser la bouteille, ce que nous fîmes sur les rochers. Et dans ses éclats émeraude, se trouvait ce message étrange.

 

 

Nous nous sommes regardées avec les filles aux seins nus sans comprendre. Dans ma tête, surgit une phrase que j’avais dû noter, sans mentionner le nom de l’autrice.

“Nous, les femmes, nous bousculons tout.”

Qui avait bien pu dire cela ? Peut-être Simone Veil. Mon carnet à couverture de cuir violet était rempli de ces citations d’inconnues qui venaient de temps en temps me tirer de ma bulle ensoleillée.

Il était sans doute plus que temps de tout bousculer. Je relevais la tête fièrement, un avion traçait son sillage au-dessus de moi.