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Réseau des Autrices

Résidences expérimentales

Réseau des Autrices

experimentelle Residenzen

Laure Zehnacker 
2022031

 

Macha et la chambre 404

 

Macha. C’est son nom. Je l’ai entendu quand l’homme est entré dans la pièce. Il a dit “Macha, me voilà”, comme si elle ne l’avait pas déjà constaté par elle-même. Mais maintenant, je connais son identité. Je m’attache aux personnages qui viennent compléter ma collection grâce à leur nom. Il existe de nombreuses théories sur l’impact qu’un prénom donne au caractère, tout comme il existe de nombreuses théories évoquant le poids des signes astrologiques sur notre comportement et nos idées. Je ne suis pas de cet avis. Je pense que l’humain aime s’enfermer dans une boîte qui devient son décor et dans laquelle il peut se définir. Je pense que vous êtes tout aussi vides que moi et que vous vous complétez avec un rôle. Vous aimez les étiquettes. Rares sont les esprits vraiment libres qui agissent selon leurs propres aspirations, mais là encore, n’est-ce pas une tentative d’habiter un manque ? La seule chose véritable qui vous anime sont vos sentiments, vos émotions, vos non-dits que vous essayez de renfrogner. Sans doute, ce sont eux qui vous rendent si fragiles et les ignorer vous permet, au moins un instant, de paraître maîtres de vous-mêmes.

Vos prénoms sont le moyen mnémotechnique que j’ai choisi pour me souvenir du rôle que vous jouez dans la vie. J’aurais pu prendre un système à chiffres, plus élaboré, mais pourquoi devrais-je me compliquer la tâche pour vous garder en moi ? Je me souviens de Victor, un être sensible et complexé. Il était sur la défensive ! Et pourtant, il avait été facile à séduire. Les Victor sont difficiles à trouver, il s’agit là d’une espèce rare. Les Lina ont la trentaine et sont mères de deux à trois enfants, bonne situation financière avec des conjoints qui travaillent beaucoup. Frustrées, mais toujours propres, elles ont arrêté de sourire il y a longtemps. Parfois, elles ont des coups de colères, minuscules, comme si elles s’étouffaient dans cette vie si bien rangée et dans un mariage devenu sans amour. Jamais longtemps, pour ne pas rayer la surface de la photo de famille parfaite. Il y a les Sebastian qui se définissent comme non genrés. Iels adorent Berlin pour la liberté que la ville leur apporte. Ils fument beaucoup, boivent souvent, tirent quelques lignes de coke dans les soirées très dénudées de la capitale. Ils s’animent pour un rien en faisant voltiger leurs mains le long des épaules. Le Sebastian aimerait tomber amoureux, même s’il en est incapable. Il veut surtout vivre l’intensité du sexe et de l’hédonisme. Carina, allemande, la blonde type qui sourit innocemment quand on lui fait un compliment, parce qu’elle se sent mal à l’aise. Très jolie, elle se méfie des discours trop poétiques, des troubadours lourdingues qui lui content fleurette pour la mettre dans son lit. Sa timidité est devenue son arme pour esquiver les regards trop teintés de désir. Berlin déborde de Carina, mais aussi de Riga, grande Danoise, qui est venue en Allemagne afin de poursuivre son combat pour le respect de l’environnement. Grosses chaussures de rando, sac à dos même en soirée, elle parle fort et avec violence des lobbys qui détruisent la forêt amazonienne. Je ne m’intéresse jamais aux personnes qui ont le même prénom, sinon ça court-circuite le système. Dans mon répertoire, je compte des Chris, des Jean, des Hans, des Sasha, des Sophia. Et maintenant, il y a Macha. 

À travers le trou percé dans le mur, je l’observe. Ses mains longilignes qui flottent à côté de son corps ne sont pas placées là par hasard. Ce qui me plaît chez elle, c’est sa capacité à jouer. Son corps qui tangue en s’approchant du miroir et en remettant ses cheveux rougeoyants devant la glace est parfaitement calculé et pourtant, terriblement naturel. Quand elle se retourne en laissant sa chemise de soie s’ouvrir, avant que ses doigts blancs ne viennent resserrer les bords pour cacher une poitrine généreuse, Macha sait exactement ce qu’elle va provoquer chez l’homme qui la regarde. Le désir. Elle manie le coup de hanche avant de s’effondrer sur le lit. Chaque particule de sa peau obéit sensuellement à une pensée contrôlée. Elle cible l’homme, le regarde, s’échappe de lui, le reprend, s’enfuit, se farde, se confie, se penche, s’affale sur les draps.

Le type ne perçoit qu’une infime partie de son délassement. Il ne comprend pas que la suite des évènements lui donne envie d’elle. Il se laisse manipuler sans se rendre compte qu’elle nourrit miette après miette ses fringales sexuelles. 

« Macha » dit-il quand cette dernière traverse la pièce jusqu’à la porte et qu’elle quitte la scène. Je l’entends dire « Pas ce soir », murmuré d’un recoin où je ne peux plus la contempler. L’homme la rejoint et de mon trou minuscule, je ne perçois plus rien. Il faudrait que je perce une autre embouchure, ce que je ferai sûrement plus tard dans la soirée. Je suppose qu’il la prend dans ses bras. Ensuite, il y a un silence déroutant. J’essaie de faire tourner mon œil, mais je ne vois rien d’autre qu’une pièce vide. Ce que je sais, c’est que la porte est ouverte et qu’il n’y a plus aucun bruit. Je reste dix minutes, quinze minutes, une heure, la pupille collée au judas, sans que je ne puisse dissocier le moindre mouvement. Ce n’est qu’après une attente inutile, que j’entends la porte claquer. La fille d’à côté revient seule. Elle se place devant la glace, efface le khôl qui a coulé sur sa paupière et sourit, se sourit, avec quelque chose de diabolique entre les lèvres.

Devant cette mimique, je m’extirpe précipitamment du trou.

 

Laure Zehnacker 
2022031

 

Macha et la chambre 404

 

Macha. C’est son nom. Je l’ai entendu quand l’homme est entré dans la pièce. Il a dit “Macha, me voilà”, comme si elle ne l’avait pas déjà constaté par elle-même. Mais maintenant, je connais son identité. Je m’attache aux personnages qui viennent compléter ma collection grâce à leur nom. Il existe de nombreuses théories sur l’impact qu’un prénom donne au caractère, tout comme il existe de nombreuses théories évoquant le poids des signes astrologiques sur notre comportement et nos idées. Je ne suis pas de cet avis. Je pense que l’humain aime s’enfermer dans une boîte qui devient son décor et dans laquelle il peut se définir. Je pense que vous êtes tout aussi vides que moi et que vous vous complétez avec un rôle. Vous aimez les étiquettes. Rares sont les esprits vraiment libres qui agissent selon leurs propres aspirations, mais là encore, n’est-ce pas une tentative d’habiter un manque ? La seule chose véritable qui vous anime sont vos sentiments, vos émotions, vos non-dits que vous essayez de renfrogner. Sans doute, ce sont eux qui vous rendent si fragiles et les ignorer vous permet, au moins un instant, de paraître maîtres de vous-mêmes.

Vos prénoms sont le moyen mnémotechnique que j’ai choisi pour me souvenir du rôle que vous jouez dans la vie. J’aurais pu prendre un système à chiffres, plus élaboré, mais pourquoi devrais-je me compliquer la tâche pour vous garder en moi ? Je me souviens de Victor, un être sensible et complexé. Il était sur la défensive ! Et pourtant, il avait été facile à séduire. Les Victor sont difficiles à trouver, il s’agit là d’une espèce rare. Les Lina ont la trentaine et sont mères de deux à trois enfants, bonne situation financière avec des conjoints qui travaillent beaucoup. Frustrées, mais toujours propres, elles ont arrêté de sourire il y a longtemps. Parfois, elles ont des coups de colères, minuscules, comme si elles s’étouffaient dans cette vie si bien rangée et dans un mariage devenu sans amour. Jamais longtemps, pour ne pas rayer la surface de la photo de famille parfaite. Il y a les Sebastian qui se définissent comme non genrés. Iels adorent Berlin pour la liberté que la ville leur apporte. Ils fument beaucoup, boivent souvent, tirent quelques lignes de coke dans les soirées très dénudées de la capitale. Ils s’animent pour un rien en faisant voltiger leurs mains le long des épaules. Le Sebastian aimerait tomber amoureux, même s’il en est incapable. Il veut surtout vivre l’intensité du sexe et de l’hédonisme. Carina, allemande, la blonde type qui sourit innocemment quand on lui fait un compliment, parce qu’elle se sent mal à l’aise. Très jolie, elle se méfie des discours trop poétiques, des troubadours lourdingues qui lui content fleurette pour la mettre dans son lit. Sa timidité est devenue son arme pour esquiver les regards trop teintés de désir. Berlin déborde de Carina, mais aussi de Riga, grande Danoise, qui est venue en Allemagne afin de poursuivre son combat pour le respect de l’environnement. Grosses chaussures de rando, sac à dos même en soirée, elle parle fort et avec violence des lobbys qui détruisent la forêt amazonienne. Je ne m’intéresse jamais aux personnes qui ont le même prénom, sinon ça court-circuite le système. Dans mon répertoire, je compte des Chris, des Jean, des Hans, des Sasha, des Sophia. Et maintenant, il y a Macha. 

À travers le trou percé dans le mur, je l’observe. Ses mains longilignes qui flottent à côté de son corps ne sont pas placées là par hasard. Ce qui me plaît chez elle, c’est sa capacité à jouer. Son corps qui tangue en s’approchant du miroir et en remettant ses cheveux rougeoyants devant la glace est parfaitement calculé et pourtant, terriblement naturel. Quand elle se retourne en laissant sa chemise de soie s’ouvrir, avant que ses doigts blancs ne viennent resserrer les bords pour cacher une poitrine généreuse, Macha sait exactement ce qu’elle va provoquer chez l’homme qui la regarde. Le désir. Elle manie le coup de hanche avant de s’effondrer sur le lit. Chaque particule de sa peau obéit sensuellement à une pensée contrôlée. Elle cible l’homme, le regarde, s’échappe de lui, le reprend, s’enfuit, se farde, se confie, se penche, s’affale sur les draps.

Le type ne perçoit qu’une infime partie de son délassement. Il ne comprend pas que la suite des évènements lui donne envie d’elle. Il se laisse manipuler sans se rendre compte qu’elle nourrit miette après miette ses fringales sexuelles. 

« Macha » dit-il quand cette dernière traverse la pièce jusqu’à la porte et qu’elle quitte la scène. Je l’entends dire « Pas ce soir », murmuré d’un recoin où je ne peux plus la contempler. L’homme la rejoint et de mon trou minuscule, je ne perçois plus rien. Il faudrait que je perce une autre embouchure, ce que je ferai sûrement plus tard dans la soirée. Je suppose qu’il la prend dans ses bras. Ensuite, il y a un silence déroutant. J’essaie de faire tourner mon œil, mais je ne vois rien d’autre qu’une pièce vide. Ce que je sais, c’est que la porte est ouverte et qu’il n’y a plus aucun bruit. Je reste dix minutes, quinze minutes, une heure, la pupille collée au judas, sans que je ne puisse dissocier le moindre mouvement. Ce n’est qu’après une attente inutile, que j’entends la porte claquer. La fille d’à côté revient seule. Elle se place devant la glace, efface le khôl qui a coulé sur sa paupière et sourit, se sourit, avec quelque chose de diabolique entre les lèvres.

Devant cette mimique, je m’extirpe précipitamment du trou.