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Aurélie William Levaux 
2021C010

 

C’est de la merde, s’était mis à crier un homme sur le balcon dans l’immeuble en face. On s’était tous retournés, rigolards, croyant à une bonne blague. Visiblement non, il ne s’agissait pas d’une blague, l’homme d’une cinquantaine d’années, bedonnant et en calebard, qui venait de crier semblait réellement furax. Baptiste avait hésité puis décidé de faire une petite pause dans son set.

***

On avait laissé les filles dans un camping pour quelques heures, il avait l’air tout ce qu’il a de plus sécure, tenu par un couple de vieux Hollandais très à cheval sur la tonte de l’herbe et la propreté et, comme les campings précédents, relativement vide. Les gens ne partaient pas en vacances cette année, la peur du variant Delta peut-être, et surtout pas dans le Nord, apparemment, ce qu’on pouvait comprendre vu le temps absolument dégueulasse qu’il y faisait. Les filles ne tenaient pas à nous accompagner pour ce concert, nous avaient-elles dit, elles préféraient s’amuser dans la plaine de jeu plutôt que de s’ennuyer dur au milieu d’adultes comme ça avait été le cas la veille. La petite n’avait jamais été fan des délires artistiques de ses parents et Alice-Allen semblait très critique face à ce milieu. Pour une jeune qui rêvait d’aller aux Beaux-Arts et de devenir graffeuse, c’était étonnant, mais bon, l’âge ingrat ne jouant pas en sa faveur, elle trouvait tout absolument nul et ennuyeux et nous le faisait savoir par des remarques cyniques et de longs soupirs.

***

Le lieu du concert était un terrain vague fraîchement débroussaillé pour l’occasion, entre de hauts immeubles gris. C’est un événement tout à fait expérimental, nous avaient déclaré les organisateurs, très gentils et motivés, qui après un an de confinement tenaient à rendre plus convivial et chaleureux leur tristounet quartier de la banlieue rouennaise. On avait installé le matériel, reluquant le ciel orageux, attendu que les gouttes s’espacent et que le public, une vingtaine de personnes, nous rejoigne. À dix-neuf heures, Baptiste avait commencé à pousser la chansonnette. Un voisin passait sa tête par-dessus le muret de temps à autre pour nous observer d’un œil un peu inquiet. Une voisine était intervenue au bout de cinq minutes pour savoir combien de temps ce raffut allait encore durer. On l’avait rassurée, cela ne durerait qu’une petite heure et tout le monde était le bienvenu, elle y compris bien entendu. Le son était très faible, ce qui conférait un air très intimiste et très moyennement dynamique au concert. Baptiste n’était pas absolument à l’aise, mais bon, les gens tentaient de montrer leur intérêt, dodelinant de la tête et tapant du pied en rythme. Et puis, il y avait eu ce grand cri de mâle furibard.

***

C’est de la merde, s’était mis à hurler l’homme en calebard de son balcon en face du jardinet. Cessez de nous faire chier avec votre musique, bande de sales babas cool, il avait gueulé avant de rentrer chez lui. Baptiste avait fait une petite pause, ne sachant trop comment réagir. Non, mais ne t’arrête pas, avaient dit les organisateurs, gênés de l’impolitesse de leurs voisins pourtant prévenus de leur belle initiative citoyenne. Continue encore un peu, nous ça nous intéresse, nous, avait insisté le maigre et compatissant public. Baptiste avait repris le concert, encore moins à l’aise qu’il ne l’était au début, quand soudain un vieux morceau d’AC/DC avait couvert sa voix. Le voisin avait décidé de mettre du son, celui qu’il estimait ne pas être de la merde, à burnes, pour couvrir le nôtre, ce qui donnait, l’un dans l’autre, la manœuvre avait fonctionné, un réel enfer auditif. Baptiste avait arrêté de jouer pour de bon et on avait bu un dernier verre avant de remballer le lourd matériel.

***

C’est assez dingue ce que les gens peuvent être intolérants, avait soufflé un organisateur, déçu. Mais vous connaissez ce voisin ? j’avais demandé, persuadée que c’était un réac de base ou une personne souffrant du syndrome de Gilles de la Tourette. Oui, oui, il est assez connu dans la région. D’ailleurs, c’est un chroniqueur musical de notre radio locale, nous avait renseigné une femme du public. On était rentrés au camping. Les filles ne dormaient pas et semblaient plus mornes que jamais, allongées au milieu de leurs fringues en boule dans la caravane puant la serviette humide, les yeux rivés sur des lives Instagram. On n’a pas arrêté de se faire disputer, s’étaient-elles plaintes, la dame du camping nous a interdit d’aller dans la plaine de jeu parce qu’on a plus de douze ans et puis elle a fermé les douches à clé et nous a demandé super méchamment de nous taire et de rentrer dans notre caravane alors qu’on ne faisait que se balader en parlant tout bas, ça fait deux heures qu’on est là à ne rien faire à vous attendre, avaient-elles pesté. Mince, je suis désolée, je suis désolée pour vous, demain ça ira mieux, j’avais promis, comme je l’avais fait chaque jour et le ferais probablement encore quelques années durant.

 

Faire un détour par la Wallonie
Repartir en tournée dans le Sud de la France

C’est de la merde, s’était mis à crier un homme sur le balcon dans l’immeuble en face. On s’était tous retournés, rigolards, croyant à une bonne blague. Visiblement non, il ne s’agissait pas d’une blague, l’homme d’une cinquantaine d’années, bedonnant et en calebard, qui venait de crier semblait réellement furax. Baptiste avait hésité puis décidé de faire une petite pause dans son set.

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On avait laissé les filles dans un camping pour quelques heures, il avait l’air tout ce qu’il a de plus sécure, tenu par un couple de vieux Hollandais très à cheval sur la tonte de l’herbe et la propreté et, comme les campings précédents, relativement vide. Les gens ne partaient pas en vacances cette année, la peur du variant Delta peut-être, et surtout pas dans le Nord, apparemment, ce qu’on pouvait comprendre vu le temps absolument dégueulasse qu’il y faisait. Les filles ne tenaient pas à nous accompagner pour ce concert, nous avaient-elles dit, elles préféraient s’amuser dans la plaine de jeu plutôt que de s’ennuyer dur au milieu d’adultes comme ça avait été le cas la veille. La petite n’avait jamais été fan des délires artistiques de ses parents et Alice-Allen semblait très critique face à ce milieu. Pour une jeune qui rêvait d’aller aux Beaux-Arts et de devenir graffeuse, c’était étonnant, mais bon, l’âge ingrat ne jouant pas en sa faveur, elle trouvait tout absolument nul et ennuyeux et nous le faisait savoir par des remarques cyniques et de longs soupirs.

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Le lieu du concert était un terrain vague fraîchement débroussaillé pour l’occasion, entre de hauts immeubles gris. C’est un événement tout à fait expérimental, nous avaient déclaré les organisateurs, très gentils et motivés, qui après un an de confinement tenaient à rendre plus convivial et chaleureux leur tristounet quartier de la banlieue rouennaise. On avait installé le matériel, reluquant le ciel orageux, attendu que les gouttes s’espacent et que le public, une vingtaine de personnes, nous rejoigne. À dix-neuf heures, Baptiste avait commencé à pousser la chansonnette. Un voisin passait sa tête par-dessus le muret de temps à autre pour nous observer d’un œil un peu inquiet. Une voisine était intervenue au bout de cinq minutes pour savoir combien de temps ce raffut allait encore durer. On l’avait rassurée, cela ne durerait qu’une petite heure et tout le monde était le bienvenu, elle y compris bien entendu. Le son était très faible, ce qui conférait un air très intimiste et très moyennement dynamique au concert. Baptiste n’était pas absolument à l’aise, mais bon, les gens tentaient de montrer leur intérêt, dodelinant de la tête et tapant du pied en rythme. Et puis, il y avait eu ce grand cri de mâle furibard.

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C’est de la merde, s’était mis à hurler l’homme en calebard de son balcon en face du jardinet. Cessez de nous faire chier avec votre musique, bande de sales babas cool, il avait gueulé avant de rentrer chez lui. Baptiste avait fait une petite pause, ne sachant trop comment réagir. Non, mais ne t’arrête pas, avaient dit les organisateurs, gênés de l’impolitesse de leurs voisins pourtant prévenus de leur belle initiative citoyenne. Continue encore un peu, nous ça nous intéresse, nous, avait insisté le maigre et compatissant public. Baptiste avait repris le concert, encore moins à l’aise qu’il ne l’était au début, quand soudain un vieux morceau d’AC/DC avait couvert sa voix. Le voisin avait décidé de mettre du son, celui qu’il estimait ne pas être de la merde, à burnes, pour couvrir le nôtre, ce qui donnait, l’un dans l’autre, la manœuvre avait fonctionné, un réel enfer auditif. Baptiste avait arrêté de jouer pour de bon et on avait bu un dernier verre avant de remballer le lourd matériel.

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C’est assez dingue ce que les gens peuvent être intolérants, avait soufflé un organisateur, déçu. Mais vous connaissez ce voisin ? j’avais demandé, persuadée que c’était un réac de base ou une personne souffrant du syndrome de Gilles de la Tourette. Oui, oui, il est assez connu dans la région. D’ailleurs, c’est un chroniqueur musical de notre radio locale, nous avait renseigné une femme du public. On était rentrés au camping. Les filles ne dormaient pas et semblaient plus mornes que jamais, allongées au milieu de leurs fringues en boule dans la caravane puant la serviette humide, les yeux rivés sur des lives Instagram. On n’a pas arrêté de se faire disputer, s’étaient-elles plaintes, la dame du camping nous a interdit d’aller dans la plaine de jeu parce qu’on a plus de douze ans et puis elle a fermé les douches à clé et nous a demandé super méchamment de nous taire et de rentrer dans notre caravane alors qu’on ne faisait que se balader en parlant tout bas, ça fait deux heures qu’on est là à ne rien faire à vous attendre, avaient-elles pesté. Mince, je suis désolée, je suis désolée pour vous, demain ça ira mieux, j’avais promis, comme je l’avais fait chaque jour et le ferais probablement encore quelques années durant.

 

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