Laure Blachier
2022A018
— (ça fait longtemps que je n’ai rien écrit et ce texte vient d’une folie passagère.) —
Elle regarde la tache d’huile s’infiltrer sur le fauteuil bleu feutré de l’hôtel. Doucement, une auréole commence à se former. C’est l’eau avec laquelle elle a essayé de sauver le meuble de la catastrophe. Catastrophe, c’est ce qu’elle est aujourd’hui. Autour d’elle, des vêtements s’étalent sur le sol, la valise étripée semble avoir explosé. Dans un coin, une machine expresso sans manche, à ses pieds, un morceau de plastique noir. Ça ferait sourire sa mère, tiens. Elle qui lui a toujours dit que c’était une idée absurde d’emporter cet ustensile partout avec elle. Mais voilà, le café, eh bien c’est quand même plus difficile à trouver que ça en a l’air. Et puis, celle-là, elle fonctionne au fil électrique, comme une bouilloire ! Un cadeau de son grand-père. Un peu d’eau, un peu de café, il n’y a plus qu’à la brancher et le tour est joué ! Et puis bon, les cafés des hôtels, on les connaît. Soit, ils viennent d’une machine type station-service ou alors, ils sont ultra filtrés. Et puis merde, les conseils de sa mère, elle les a toujours suivis, elle peut maintenant avoir la paix.
Sauf que la paix, là, l’hôtel ne lui donnera pas. Comment expliquer le carrelage fissuré de la salle de bain ? Les traces d’humidité sur la moquette, laissées par les petites culottes qui sèchent sur toutes les poignées disponibles de la chambre ? Partir en douce ? Elle n’attend que ça de partir. Elle n’en peut plus d’être enfermée dans cette chambre d’hôtel. Les murs blancs lui donnent le vertige. Le bas plafond l’oppresse. Les fenêtres à soufflet l’emprisonnent. La solitude l’ennuie. La folie s’installe. Après s’être fait une frange maison, rongé les ongles jusqu’au sang et avoir rangé les échantillons de toilette par ordre de grandeur, elle avait décidé de s’attaquer à la déco des toilettes. Résultat : un cochon dessiné au feutre Velleda sur le mur, affublé de la remarque : j’ai un caractère de cochon. Quarantaine, c’est ce qu’on lui a dit en arrivant. Elle a toujours trouvé ce mot bizarre. Quarantaine, comme quarante jours ? a-t-elle demandé en blêmissant.
Tout à l’heure, elle est sortie faire le reste de son linge. Elle avait lu sur un prospectus qui trainait, qu’il y avait une laverie au sous-sol. Elle n’en pouvait plus de porter le même pull informe tout crasseux. Mais depuis, elle craint que son voisin de chambre qui a entrouvert sa porte alors qu’elle sortait, la dénonce. Dénonciation, il parait que c’est revenu dans l’air du temps, il y a des choses qui ne s’oublient pas apparemment. Elle se ressaisit, sa peur est totalement injustifiée : le petit vieux à moustache a certainement d’autres choses à foutre.
Et puis, elle n’en est pas à sa première crise de paranoïa de la journée. L’écran de son portable indique trente messages envoyés, quatorze tentatives d’appel et un appel reçu. Prise de panique, elle a harcelé son mec. Elle était persuadée qu’il était mort. Elle voyait son cadavre sur son lit défait, un bras ballant dans le vide, la bouche grande ouverte et les muscles durcissant. L’imagination n’a jamais été son point faible, disait fièrement son père à qui voulait l’entendre. C’est sûrement pour ça qu’elle déteste les films d’horreur. Elle les revisualise mentalement, elle en est toujours l’héroïne. Le copain donc, celui qu’on enterrait déjà, malgré sa trentaine à peine entamée, a fini par la rappeler. Le pauvre faisait simplement une grasse mat. Rien d’étonnant un jour de weekend. Et puis, mort de quoi au juste ? Même lui ne sait pas comment l’interpréter. Mais bon, il faut la comprendre, lui qui normalement répond au tac au tac… Il ne faut pas donner de mauvaises habitudes non plus.
Non, il n’y a rien à dire, rien ne va plus. Il faut reconnaître que le problème ce n’est pas tellement l’hôtel, le petit vieux à moustache ou le mec ; c’est plutôt l’isolement. Qui est fait pour tourner en rond dans un espace clos ?
Demain. Demain devrait être bon. C’est ce qu’on lui a dit. Demain. Demain tout sera fini. Elle vérifie dans le calendrier de son téléphone ce qu’elle a tapé quelques minutes auparavant. En grosses lettres : « DEMAIN, LIBÉRER COCO… » (Ndlr. son hamster, celui qui ne mange que des graines de courges). Demain, donc, Coco, à qui on avait imposé une sorte de quarantaine juste par caprice, pour se sentir moins seul à la maison, pourra lui aussi gambader dans les jardins publics. Demain, elle sera une autre femme : une femme libre qui défendra la liberté. Elle rejoindra WWF et militera devant les animaleries. Ça y est, c´est décidé, c’est même noté !