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Réseau des Autrices

Résidences expérimentales

Réseau des Autrices

experimentelle Residenzen

Ana Cazor
2022A010

 

Parfum de femme

 

Du point de vue anté-post-hypermoderne, il y a dans toutes les familles, une tante qui a raté sa vie. Aujourd’hui encore, ça peut arriver, question de destin individuel. 

La tante qui a raté sa vie se distingue aisément dans la fratrie : elle n’est pas mariée et n’a pas d’enfant. Elle peut aussi avoir été salement divorcée. C’est l’avantage des filles uniques que de ne pas risquer d’endosser ce rôle de la tante ratée, aussi minables que puissent être leurs destinées. 

La tante ratée peut évoluer de différentes manières. Celle qu’il va faire valser est de celles qui, les soirs de fêtes de famille, refusent d’aller se coucher. Elles aiment manger, boire et aussi rigoler, mais elles s’égarent du côté du « trop » et deviennent alors de véritables fardeaux qui en toute lucidité finissent par pleurer sur leur vie désolée. 

***

Tati Nana est affublée d’une robe fuchsia avec des volants comme si elle avait encore vingt ans, mais personne parmi les plus jeunes ne la porterait. Elle est coiffée « sophistiqué ». À cette heure tardive du petit matin, cela fait longtemps qu’elle a enlevé ses chaussures, exposant ses pieds potelés et rougeoyants, lacérés par le cuir grossier de ses ballerines bon marché. Échevelée, elle beugle seule sur la piste de danse, fait mine de connaître les paroles des chansons et agite ses bras du bas vers le haut comme un épouvantail articulé. Son maquillage a un peu coulé, elle est manifestement bourrée, mais sa vue d’aigle n’a pas baissé. 

À peine je pointe, curieux, mon nez derrière la porte vitrée, maintenue fermée pour ne pas empêcher la touristique C de roupiller, qu’oiseau de proie, elle plonge littéralement sur moi, m’ouvre la porte, m’attrape à deux mains l’avant-bras et le tire sur la piste dans un élan tel que je manque trébucher. Elle voit alors mes chaussures et se met à rigoler trop fort, la bouche grande ouverte. Elle me montre ses pieds et m’invite à l’imiter. Je n’ai rien à perdre et, tout en reluquant des restes de desserts, je balance énergiquement mes souliers à quelques mètres de là. Elle crie : « Victoire ! J’ai un cavalier ! » Je lui réponds : « Je danse volontiers, mais pas tant que je n’ai pas mangé ! »

Si l’estomac s’est un peu calmé, je meurs quand même de faim. Ça a beau être une expression, ce n’est pas très agréable. 

 

Douceur de ta peau crème,
Je fonds Forêt-Noire,
À tes yeux charbonneux.
Tati Nana… 

Blanc de neige qui roule
Sans trembler ni faiblir
À l’ombre de tes bas.
Je reviendrai
Danser contre toi. 

Je reviendrai
Frôler ce morceau, ta robe,
Là où frissonnent les chairs
Ni de quetsche ni de pomme. 

Pendant ce temps,
Tu m’amendes.
Et me ressers à deux mains
À la coupe de tes yeux chagrins. 

Pas de deux, tu valses,
Les autres nous matent,
Regards ingrats,
Libidineux parfois
Jusqu’à la condescendance, 

Ma nature suffoque
Sous les moqueries de l’assistance.
Je voudrais me cacher,
Mais je ne peux te lâcher.

Dans tes bras je l’oublie
Elle,
Ma quête insensée. 

Je suis piégé par ta joie, 

Tu n’es pas suspendue toi,
À peine un peu perchée. 

J’ai encore froid aux pieds.
Alors je retourne me réchauffer

À la chaleur de tes bras grassouillets,
Au souffle de ton haleine sophistiquée, 

Je ferme les yeux,
Et l’ombre de tes cernes m’éclaire,
Je susurre des mots, lettre à lettre
Tu m’épelles et me traduis
À travers tes lèvres, cerises gercées. 

Je décide d’assumer,
De faire l’homme pour une femme.
Contre ma volonté,
Corrompu pour une crème renversée. 

Au rythme de la valse à deux,
Tu préfères Plastic Bertrand,
Indicible confidence.
Tu es toi aussi du siècle dernier. 

Tu transpires sous le voile de sueur,
Dessous le polyester fuchsia
Je suis aimanté par ton odeur,
L’âcre à la rencontre du sucré, 

Parfum de femme s’il en est. 

Ana Cazor
2022A010

 

Parfum de femme

 

Du point de vue anté-post-hypermoderne, il y a dans toutes les familles, une tante qui a raté sa vie. Aujourd’hui encore, ça peut arriver, question de destin individuel. 

La tante qui a raté sa vie se distingue aisément dans la fratrie : elle n’est pas mariée et n’a pas d’enfant. Elle peut aussi avoir été salement divorcée. C’est l’avantage des filles uniques que de ne pas risquer d’endosser ce rôle de la tante ratée, aussi minables que puissent être leurs destinées. 

La tante ratée peut évoluer de différentes manières. Celle qu’il va faire valser est de celles qui, les soirs de fêtes de famille, refusent d’aller se coucher. Elles aiment manger, boire et aussi rigoler, mais elles s’égarent du côté du « trop » et deviennent alors de véritables fardeaux qui en toute lucidité finissent par pleurer sur leur vie désolée. 

***

Tati Nana est affublée d’une robe fuchsia avec des volants comme si elle avait encore vingt ans, mais personne parmi les plus jeunes ne la porterait. Elle est coiffée « sophistiqué ». À cette heure tardive du petit matin, cela fait longtemps qu’elle a enlevé ses chaussures, exposant ses pieds potelés et rougeoyants, lacérés par le cuir grossier de ses ballerines bon marché. Échevelée, elle beugle seule sur la piste de danse, fait mine de connaître les paroles des chansons et agite ses bras du bas vers le haut comme un épouvantail articulé. Son maquillage a un peu coulé, elle est manifestement bourrée, mais sa vue d’aigle n’a pas baissé. 

À peine je pointe, curieux, mon nez derrière la porte vitrée, maintenue fermée pour ne pas empêcher la touristique C de roupiller, qu’oiseau de proie, elle plonge littéralement sur moi, m’ouvre la porte, m’attrape à deux mains l’avant-bras et le tire sur la piste dans un élan tel que je manque trébucher. Elle voit alors mes chaussures et se met à rigoler trop fort, la bouche grande ouverte. Elle me montre ses pieds et m’invite à l’imiter. Je n’ai rien à perdre et, tout en reluquant des restes de desserts, je balance énergiquement mes souliers à quelques mètres de là. Elle crie : « Victoire ! J’ai un cavalier ! » Je lui réponds : « Je danse volontiers, mais pas tant que je n’ai pas mangé ! »

Si l’estomac s’est un peu calmé, je meurs quand même de faim. Ça a beau être une expression, ce n’est pas très agréable. 

 

Douceur de ta peau crème,
Je fonds Forêt-Noire,
À tes yeux charbonneux.
Tati Nana… 

Blanc de neige qui roule
Sans trembler ni faiblir
À l’ombre de tes bas.
Je reviendrai
Danser contre toi. 

Je reviendrai
Frôler ce morceau, ta robe,
Là où frissonnent les chairs
Ni de quetsche ni de pomme. 

Pendant ce temps,
Tu m’amendes.
Et me ressers à deux mains
À la coupe de tes yeux chagrins. 

Pas de deux, tu valses,
Les autres nous matent,
Regards ingrats,
Libidineux parfois
Jusqu’à la condescendance, 

Ma nature suffoque
Sous les moqueries de l’assistance.
Je voudrais me cacher,
Mais je ne peux te lâcher.

Dans tes bras je l’oublie
Elle,
Ma quête insensée. 

Je suis piégé par ta joie, 

Tu n’es pas suspendue toi,
À peine un peu perchée. 

J’ai encore froid aux pieds.
Alors je retourne me réchauffer

À la chaleur de tes bras grassouillets,
Au souffle de ton haleine sophistiquée, 

Je ferme les yeux,
Et l’ombre de tes cernes m’éclaire,
Je susurre des mots, lettre à lettre
Tu m’épelles et me traduis
À travers tes lèvres, cerises gercées. 

Je décide d’assumer,
De faire l’homme pour une femme.
Contre ma volonté,
Corrompu pour une crème renversée. 

Au rythme de la valse à deux,
Tu préfères Plastic Bertrand,
Indicible confidence.
Tu es toi aussi du siècle dernier. 

Tu transpires sous le voile de sueur,
Dessous le polyester fuchsia
Je suis aimanté par ton odeur,
L’âcre à la rencontre du sucré, 

Parfum de femme s’il en est.