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Ariane Lessard
2021B005

 

Son nom, elle me dit, est Madame Dou. Elle s’occupe de la serre depuis plusieurs années. « Je ne sais pas pourquoi j’ai pleuré. »

Elle dit que c’est bien de pleurer, que rien ne fait plus de bien devant l’incompréhension. Elle a construit la serre sur les ruines d’une maison très ancienne. Elle et ses amies horticultrices ont aussi créé des jardins tout autour de l’hôtel. Elles cultivent des fruits et des légumes à l’année pour leur subsistance. Puis la forêt leur permet la cueillette de champignons, racines ou herbes. Le reste arrive par bateau. Elles prônent une alimentation végétalienne. Chacune travaille à la terre et les cuisines aussi sont collectives. Les tâches ménagères peuvent être rotatives, changées selon les humeurs. Certaines préfèrent aussi conserver une routine et travailler avec leurs amies sur des projets à long terme, tout est possible. Elle me fait visiter.

La plupart des femmes habitent l’hôtel, mais certaines préfèrent aussi demeurer à l’extérieur du bâtiment. Madame Dou réside dans une maisonnette adjacente à la serre.

« L’hôtel possède quatre ailes. Aile A, aile B, aile C et aile D.
— Et l’aile E ? »

Elle me regarde fixement en souriant. Je comprends par là que j’amène un sujet dont on ne parlera pas aujourd’hui.

*

Nous entrons dans la cuisine par une porte côté jardin. Des femmes s’y attardent à préparer les repas. Je reconnais Silvia qui s’approche et me serre dans ses bras.

« Pas trop fâchée ? On m’a dit que tu avais eu une forte réaction à l’emmurement. Tu sais, j’ai réagi de la même façon quand je suis arrivée il y a quarante ans.
— Ça va mieux maintenant, Madame Dou et la serre m’ont calmée. »

Nous nous lavons les mains et aidons à la préparation du repas. Autour des îlots de la cuisine se trouve une vingtaine de femmes qui s’activent à différentes tâches. Certaines concoctent le dîner, d’autres débutent des éléments du souper, et d’autres encore transforment les aliments cueillis dans les jardins, la serre ou la forêt. Je coupe des patates pendant que Madame Dou chantonne.

« Est-ce que toutes les filles mangent ensemble ?
— Tu attends quelqu’une ? »
Je me sens rougir jusqu’aux oreilles.

*

Nous avons transféré les plats vers les réchauds de la cafétéria. À midi, nous avons servi les femmes qui sont venues chercher à dîner. La plupart me saluaient, mais j’ai oublié les noms de tout le monde. Je me suis demandé si la femme noire aux beaux yeux allait venir se servir. Sait-elle seulement qu’elle peut venir manger ? À la fin du service nous sommes allées nous asseoir dans le bar pour manger nous aussi. Celles qui avaient terminé leurs assiettes s’affairaient déjà au ramassage et à la vaisselle. Autour de notre table se trouvaient Roaa, une enseignante de langues, Romane, une infirmière, Felcie et Danaé, respectivement biologiste et archéologue. Toutes avaient une attention particulière vis-à-vis de moi et je me suis sentie accueillie enfin, mieux qu’après le mur. Elles semblent toutes avoir Madame Dou en haute estime, et je les comprends. Elle doit être l’une des plus anciennes. Si je me fie à cette date inscrite dans les ruines de la serre, Madame Dou doit être immémoriale.

« Toutes les personnes qui arrivent ont des spécialisations ?
— Non ! Mais toutes les femmes apprennent vite avec les autres. L’enseignement se fait sur le terrain, d’égale à égale. Nous faisons notre propre université.
— Oh ! Et, est-ce qu’il y a une architecte ? »

 

Aller dans la Bibliothèque avec les femmes
Grimper à l’échelle avec la femme aux jolis yeux
Aller dans l’atelier de l’architecte

Son nom, elle me dit, est Madame Dou. Elle s’occupe de la serre depuis plusieurs années. « Je ne sais pas pourquoi j’ai pleuré. »

Elle dit que c’est bien de pleurer, que rien ne fait plus de bien devant l’incompréhension. Elle a construit la serre sur les ruines d’une maison très ancienne. Elle et ses amies horticultrices ont aussi créé des jardins tout autour de l’hôtel. Elles cultivent des fruits et des légumes à l’année pour leur subsistance. Puis la forêt leur permet la cueillette de champignons, racines ou herbes. Le reste arrive par bateau. Elles prônent une alimentation végétalienne. Chacune travaille à la terre et les cuisines aussi sont collectives. Les tâches ménagères peuvent être rotatives, changées selon les humeurs. Certaines préfèrent aussi conserver une routine et travailler avec leurs amies sur des projets à long terme, tout est possible. Elle me fait visiter.

La plupart des femmes habitent l’hôtel, mais certaines préfèrent aussi demeurer à l’extérieur du bâtiment. Madame Dou réside dans une maisonnette adjacente à la serre.

« L’hôtel possède quatre ailes. Aile A, aile B, aile C et aile D.
— Et l’aile E ? »

Elle me regarde fixement en souriant. Je comprends par là que j’amène un sujet dont on ne parlera pas aujourd’hui.

*

Nous entrons dans la cuisine par une porte côté jardin. Des femmes s’y attardent à préparer les repas. Je reconnais Silvia qui s’approche et me serre dans ses bras.

« Pas trop fâchée ? On m’a dit que tu avais eu une forte réaction à l’emmurement. Tu sais, j’ai réagi de la même façon quand je suis arrivée il y a quarante ans.
— Ça va mieux maintenant, Madame Dou et la serre m’ont calmée. »

Nous nous lavons les mains et aidons à la préparation du repas. Autour des îlots de la cuisine se trouve une vingtaine de femmes qui s’activent à différentes tâches. Certaines concoctent le dîner, d’autres débutent des éléments du souper, et d’autres encore transforment les aliments cueillis dans les jardins, la serre ou la forêt. Je coupe des patates pendant que Madame Dou chantonne.

« Est-ce que toutes les filles mangent ensemble ?
— Tu attends quelqu’une ? »
Je me sens rougir jusqu’aux oreilles.

*

Nous avons transféré les plats vers les réchauds de la cafétéria. À midi, nous avons servi les femmes qui sont venues chercher à dîner. La plupart me saluaient, mais j’ai oublié les noms de tout le monde. Je me suis demandé si la femme noire aux beaux yeux allait venir se servir. Sait-elle seulement qu’elle peut venir manger ? À la fin du service nous sommes allées nous asseoir dans le bar pour manger nous aussi. Celles qui avaient terminé leurs assiettes s’affairaient déjà au ramassage et à la vaisselle. Autour de notre table se trouvaient Roaa, une enseignante de langues, Romane, une infirmière, Felcie et Danaé, respectivement biologiste et archéologue. Toutes avaient une attention particulière vis-à-vis de moi et je me suis sentie accueillie enfin, mieux qu’après le mur. Elles semblent toutes avoir Madame Dou en haute estime, et je les comprends. Elle doit être l’une des plus anciennes. Si je me fie à cette date inscrite dans les ruines de la serre, Madame Dou doit être immémoriale.

« Toutes les personnes qui arrivent ont des spécialisations ?
— Non ! Mais toutes les femmes apprennent vite avec les autres. L’enseignement se fait sur le terrain, d’égale à égale. Nous faisons notre propre université.
— Oh ! Et, est-ce qu’il y a une architecte ? »

 

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