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Aurélie William Levaux 
2021C002

 

Nous nous étions rendues à la mairie pour refaire la carte d’identité de ma fille en urgence. Il restait deux jours avant notre départ. J’avais décidé d’aller jusqu’au bout de l’aventure administrative, de tout tenter, non seulement parce que je le lui avais promis, à ma fille, mais aussi par esprit aventurier. Je voulais savoir jusqu’où on pouvait être emmerdé, connaître les limites de la connerie. C’était devenu une enquête de terrain.

***

La mairie se trouvait dans une galerie commerçante à moitié à l’abandon, c’était temporaire, disait-on. Des travaux étaient en cours pour en reconstruire une neuve, bien plus classe et high-tech, et cela depuis de nombreuses années, mais en attendant, la mairie se trouvait dans un fond de couloir d’une glauquerie assez impressionnante, derrière un magasin Aldi et une boucherie répugnante et déserte. La prise de rendez-vous sur internet avait été plutôt laborieuse, le site ne fonctionnait pas très bien, j’en avais souvent fait l’expérience douloureuse. C’est mignon l’idée de se faciliter la tâche grâce au numérique, c’est super pour pouvoir supprimer des emplois et déshumaniser la société, mais quand les outils sont mal branlés, ça peut rapidement devenir l’enfer. Quand je pense à toutes ces personnes encore moins aptes que moi à les utiliser, ces outils, je me demande comment elles se démerdent. Sans doute n’essaient-elles même plus. Sans doute, à un moment, lâchent-elles tout, se font-elles diagnostiquer inaptes, inaptes à travailler, inaptes à vivre, se mettent-elles en dépression, en maladie, se rendent-elles en psychiatrie et se laissent-elles couler. Ça devient moins pénible d’être bourré de médocs, enfermé dans une chambre d’hosto, que de chercher à être autonome dans une telle absurdité.

***

Arrivées à la mairie, le type de l’accueil nous avait prévenues que plus rien ne fonctionnait. Panne informatique, il avait lâché de derrière sa vitre anti-postillons. À quelle heure aviez-vous rendez-vous ? il avait demandé. À 9 heures, j’avais répondu. Vous pouvez quand même essayer, mais vous voici prévenues, il avait dit avec un sourire de gland en écrivant avec difficulté sur un morceau de papier qu’il m’avait tendu. Vous pouvez vous asseoir ici, nous avait dicté un vigile qui semblait s’emmerder dur, nous désignant avec précision deux chaises, alors qu’il y en avait plein partout sans personne dessus. J’avais lu le petit papier. « Porte brune 9h », il y était noté. Nous avions attendu à côté de la porte brune. À 9 heures 07, le vigile nous avait demandé de le suivre. Nous avions parcouru le un mètre cinquante qu’il y avait entre les chaises et la porte brune, qu’il nous avait ouverte avec un air très concentré. Nous étions entrées dans le secrétariat vide et sombre, une dame nous avait interpellées d’un geste sec, je lui avais expliqué notre problème de carte d’identité qui venait du fait que les administrations ne nous avaient jamais envoyé les documents de renouvellement, j’avais précisé. Oui, je sais, nous avons beaucoup de retard à cause de la Covid, elle avait dit avec agacement en rangeant son sandwich au thon. Mais nous ne pouvons rien faire pour vous, tout est bloqué, elle avait continué en me montrant son vieil ordinateur grisâtre et éteint. Vous êtes sûre ? j’avais insisté. Oui, tout à fait, vous pouvez essayer de reprendre rendez-vous en ligne, mais à mon avis, ça sera trop tard, elle avait conclu brutalement. Nous étions ressorties par la porte brune.

 

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Nous nous étions rendues à la mairie pour refaire la carte d’identité de ma fille en urgence. Il restait deux jours avant notre départ. J’avais décidé d’aller jusqu’au bout de l’aventure administrative, de tout tenter, non seulement parce que je le lui avais promis, à ma fille, mais aussi par esprit aventurier. Je voulais savoir jusqu’où on pouvait être emmerdé, connaître les limites de la connerie. C’était devenu une enquête de terrain.

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La mairie se trouvait dans une galerie commerçante à moitié à l’abandon, c’était temporaire, disait-on. Des travaux étaient en cours pour en reconstruire une neuve, bien plus classe et high-tech, et cela depuis de nombreuses années, mais en attendant, la mairie se trouvait dans un fond de couloir d’une glauquerie assez impressionnante, derrière un magasin Aldi et une boucherie répugnante et déserte. La prise de rendez-vous sur internet avait été plutôt laborieuse, le site ne fonctionnait pas très bien, j’en avais souvent fait l’expérience douloureuse. C’est mignon l’idée de se faciliter la tâche grâce au numérique, c’est super pour pouvoir supprimer des emplois et déshumaniser la société, mais quand les outils sont mal branlés, ça peut rapidement devenir l’enfer. Quand je pense à toutes ces personnes encore moins aptes que moi à les utiliser, ces outils, je me demande comment elles se démerdent. Sans doute n’essaient-elles même plus. Sans doute, à un moment, lâchent-elles tout, se font-elles diagnostiquer inaptes, inaptes à travailler, inaptes à vivre, se mettent-elles en dépression, en maladie, se rendent-elles en psychiatrie et se laissent-elles couler. Ça devient moins pénible d’être bourré de médocs, enfermé dans une chambre d’hosto, que de chercher à être autonome dans une telle absurdité.

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Arrivées à la mairie, le type de l’accueil nous avait prévenues que plus rien ne fonctionnait. Panne informatique, il avait lâché de derrière sa vitre anti-postillons. À quelle heure aviez-vous rendez-vous ? il avait demandé. À 9 heures, j’avais répondu. Vous pouvez quand même essayer, mais vous voici prévenues, il avait dit avec un sourire de gland en écrivant avec difficulté sur un morceau de papier qu’il m’avait tendu. Vous pouvez vous asseoir ici, nous avait dicté un vigile qui semblait s’emmerder dur, nous désignant avec précision deux chaises, alors qu’il y en avait plein partout sans personne dessus. J’avais lu le petit papier. « Porte brune 9h », il y était noté. Nous avions attendu à côté de la porte brune. À 9 heures 07, le vigile nous avait demandé de le suivre. Nous avions parcouru le un mètre cinquante qu’il y avait entre les chaises et la porte brune, qu’il nous avait ouverte avec un air très concentré. Nous étions entrées dans le secrétariat vide et sombre, une dame nous avait interpellées d’un geste sec, je lui avais expliqué notre problème de carte d’identité qui venait du fait que les administrations ne nous avaient jamais envoyé les documents de renouvellement, j’avais précisé. Oui, je sais, nous avons beaucoup de retard à cause de la Covid, elle avait dit avec agacement en rangeant son sandwich au thon. Mais nous ne pouvons rien faire pour vous, tout est bloqué, elle avait continué en me montrant son vieil ordinateur grisâtre et éteint. Vous êtes sûre ? j’avais insisté. Oui, tout à fait, vous pouvez essayer de reprendre rendez-vous en ligne, mais à mon avis, ça sera trop tard, elle avait conclu brutalement. Nous étions ressorties par la porte brune.

 

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