Skip to content
Aurélie William Levaux 
2021C013

 

Sur la route entre Anduze et Aniane, la voiture nous avait évidemment lâchés. Au milieu d’une côte, dans un virage, la bagnole s’était mise à crachoter, à sonner rouge, puis s’était arrêtée et n’avait plus redémarré. C’était midi, on avait attendu une bonne heure avant que le garagiste le plus proche réponde. Les voitures roulaient vite, très vite. Baptiste, tout en appelant l’assurance, faisait la circulation tandis que j’essayais d’écrire dans mon carnet, assise sur un rocher les jambes dans les ronces, frissonnant malgré la chaleur à chaque passage de camion, craignant l’accident mortel. Trois fois des gendarmes étaient passés devant nous sans nous marquer le moindre intérêt. Vérifier que l’on porte bien un masque et emmerder le monde sont décidément les seules missions dans lesquelles ils excellent. Il reste quelque chose à boire ? avait demandé Baptiste. Non, rien, j’avais répondu. Il était entré dans la caravane et en était ressorti avec une bière. Non, mais sérieusement, tu penses que cest le moment ? j’avais réagi, guettant la route super anxieuse. Je vois pas pourquoi tu fais la tête, y a pas de quoi râler, il avait lancé en décapsulant sa bière.

***

La dépanneuse était arrivée deux heures plus tard. Baptiste était allé à l’accueil du camping pour annoncer notre venue. Le garagiste et moi avions attendu dans la dépanneuse, gênés, observant la piscine remplie de corps dénudés faisant de l’aquagym sur un tube de Shakira. Le garagiste s’était raclé la gorge. Vous allez être bien ici, il avait hésité. Oui, je pense, c’est mignon en tout cas, avec toute cette nature, j’avais acquiescé. C’est pas comme le Cap d’Agde, ça a l’air plus familial, il avait continué, me jetant un regard en coin. Parce que le Cap d’Agde, faut dire, c’est un peu hot, il avait insisté. J’avais hoché la tête, me souvenant des nombreux bijoux de zob et autres harnachements en similicuir que j’avais aperçus lors d’une de nos balades touristiques. Plus sauvage, j’avais confirmé. Sauvage, voilà, c’est le bon terme, il avait ri. Baptiste était revenu et la dépanneuse, tirant notre caravane, nous avait conduit à notre emplacement, croisant des corps de toutes tailles et de toutes formes, décomplexés, nus, mais en claquettes et sous des bobs. Bon, je jette un œil à votre voiture, je commande des pièces si besoin et on s’appelle demain. Amusez-vous bien, il nous avait salué, le garagiste, avant de partir.

***

J’étais assise à la terrasse du camping en face de Baptiste. A poil, bien entendu, puisque c’est un camping naturiste. Enfin, semi à poil, parce que, alors que je les attendais depuis trois mois, me demandant s’il n’y avait pas un souci sérieux du type grossesse hyper nerveuse, mes règles avaient trouvé l’excellent moment pour se manifester, là, à notre arrivée, en fanfare, de façon tonitruante, une vraie inondation. Semi à poil donc, au milieu de gens, eux, totalement nus comme de grands vers roses de Hollande, les bruyants frigos en fond sonore, j’avais enfin sorti mon ordinateur, bien déterminée à écrire.

***

Tandis que Baptiste réglait péniblement nos soucis d’assurance et que nos voisins de camping, Eric et Martine, ne mangeaient pas les plats colorés qui avaient pourtant l’air succulents qu’ils avaient devant eux, chacun regardant son smartphone sans se causer, j’écrivais sur le vieil ordi que Baptiste m’avait prêté, ordi dont la spécificité était qu’il ne fonctionnait pas sans branchement, la batterie étant fichue. Il ne fallait le débrancher sous aucun prétexte sans quoi tout était perdu. Je m’y étais mise dans un vif sentiment d’urgence quand, soudain, l’écran était devenu noir. J’avais regardé mon câble, la prise, puis autour de moi. Un silence anormal planait : les frigos ne fonctionnaient plus. Y a une coupure d’électricité, on dirait, avait réagi Eric, qui devait avoir perdu sa connexion Wifi, levant pour la première fois de la journée les yeux de son smartphone tandis que Martine, par dessous la table, filait sa bouffe au chien du camping. Je m’étais figée et avais regardé fixement un point au loin qui était un cul, un cul de femme sortant des toilettes. Baptiste m’observait. Détends-toi, m’avait-t-il conseillé avec le ton de Ramana Maharshi. Je suis parfaitement détendue, j’avais répondu avec pas mal d’hypocrisie dans la voix. Si tu voyais tes yeux, il avait pesté, en cherchant les documents de la caravane dans son sac banane. J’avais tenté d’adoucir mon regard. Les frigos s’étaient remis en route, j’avais rallumé l’ordi. Je venais de perdre tous mes nouveaux textes. Eric et Martine avaient appelé la serveuse pour commander un dessert. Le téléphone de Baptiste avait sonné. C’était le garagiste. En raccrochant, il s’était figé et avait regardé fixement un point au loin, comme moi quelques secondes auparavant, le cul d’un Allemand sortant de la piscine sans doute. La voiture est morte, complètement morte, irréparable, il m’avait dit doucement. Ses yeux avaient changé de couleur.

Martine héroïne de roman
Ouvrir son ordinateur et écrire
Prendre l’avis du garagiste

Sur la route entre Anduze et Aniane, la voiture nous avait évidemment lâchés. Au milieu d’une côte, dans un virage, la bagnole s’était mise à crachoter, à sonner rouge, puis s’était arrêtée et n’avait plus redémarré. C’était midi, on avait attendu une bonne heure avant que le garagiste le plus proche réponde. Les voitures roulaient vite, très vite. Baptiste, tout en appelant l’assurance, faisait la circulation tandis que j’essayais d’écrire dans mon carnet, assise sur un rocher les jambes dans les ronces, frissonnant malgré la chaleur à chaque passage de camion, craignant l’accident mortel. Trois fois des gendarmes étaient passés devant nous sans nous marquer le moindre intérêt. Vérifier que l’on porte bien un masque et emmerder le monde sont décidément les seules missions dans lesquelles ils excellent. Il reste quelque chose à boire ? avait demandé Baptiste. Non, rien, j’avais répondu. Il était entré dans la caravane et en était ressorti avec une bière. Non, mais sérieusement, tu penses que cest le moment ? j’avais réagi, guettant la route super anxieuse. Je vois pas pourquoi tu fais la tête, y a pas de quoi râler, il avait lancé en décapsulant sa bière.

***

La dépanneuse était arrivée deux heures plus tard. Baptiste était allé à l’accueil du camping pour annoncer notre venue. Le garagiste et moi avions attendu dans la dépanneuse, gênés, observant la piscine remplie de corps dénudés faisant de l’aquagym sur un tube de Shakira. Le garagiste s’était raclé la gorge. Vous allez être bien ici, il avait hésité. Oui, je pense, c’est mignon en tout cas, avec toute cette nature, j’avais acquiescé. C’est pas comme le Cap d’Agde, ça a l’air plus familial, il avait continué, me jetant un regard en coin. Parce que le Cap d’Agde, faut dire, c’est un peu hot, il avait insisté. J’avais hoché la tête, me souvenant des nombreux bijoux de zob et autres harnachements en similicuir que j’avais aperçus lors d’une de nos balades touristiques. Plus sauvage, j’avais confirmé. Sauvage, voilà, c’est le bon terme, il avait ri. Baptiste était revenu et la dépanneuse, tirant notre caravane, nous avait conduit à notre emplacement, croisant des corps de toutes tailles et de toutes formes, décomplexés, nus, mais en claquettes et sous des bobs. Bon, je jette un œil à votre voiture, je commande des pièces si besoin et on s’appelle demain. Amusez-vous bien, il nous avait salué, le garagiste, avant de partir.

***

J’étais assise à la terrasse du camping en face de Baptiste. A poil, bien entendu, puisque c’est un camping naturiste. Enfin, semi à poil, parce que, alors que je les attendais depuis trois mois, me demandant s’il n’y avait pas un souci sérieux du type grossesse hyper nerveuse, mes règles avaient trouvé l’excellent moment pour se manifester, là, à notre arrivée, en fanfare, de façon tonitruante, une vraie inondation. Semi à poil donc, au milieu de gens, eux, totalement nus comme de grands vers roses de Hollande, les bruyants frigos en fond sonore, j’avais enfin sorti mon ordinateur, bien déterminée à écrire.

***

Tandis que Baptiste réglait péniblement nos soucis d’assurance et que nos voisins de camping, Eric et Martine, ne mangeaient pas les plats colorés qui avaient pourtant l’air succulents qu’ils avaient devant eux, chacun regardant son smartphone sans se causer, j’écrivais sur le vieil ordi que Baptiste m’avait prêté, ordi dont la spécificité était qu’il ne fonctionnait pas sans branchement, la batterie étant fichue. Il ne fallait le débrancher sous aucun prétexte sans quoi tout était perdu. Je m’y étais mise dans un vif sentiment d’urgence quand, soudain, l’écran était devenu noir. J’avais regardé mon câble, la prise, puis autour de moi. Un silence anormal planait : les frigos ne fonctionnaient plus. Y a une coupure d’électricité, on dirait, avait réagi Eric, qui devait avoir perdu sa connexion Wifi, levant pour la première fois de la journée les yeux de son smartphone tandis que Martine, par dessous la table, filait sa bouffe au chien du camping. Je m’étais figée et avais regardé fixement un point au loin qui était un cul, un cul de femme sortant des toilettes. Baptiste m’observait. Détends-toi, m’avait-t-il conseillé avec le ton de Ramana Maharshi. Je suis parfaitement détendue, j’avais répondu avec pas mal d’hypocrisie dans la voix. Si tu voyais tes yeux, il avait pesté, en cherchant les documents de la caravane dans son sac banane. J’avais tenté d’adoucir mon regard. Les frigos s’étaient remis en route, j’avais rallumé l’ordi. Je venais de perdre tous mes nouveaux textes. Eric et Martine avaient appelé la serveuse pour commander un dessert. Le téléphone de Baptiste avait sonné. C’était le garagiste. En raccrochant, il s’était figé et avait regardé fixement un point au loin, comme moi quelques secondes auparavant, le cul d’un Allemand sortant de la piscine sans doute. La voiture est morte, complètement morte, irréparable, il m’avait dit doucement. Ses yeux avaient changé de couleur.

Martine héroïne de roman
Ouvrir son ordinateur et écrire
Prendre l’avis du garagiste