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Aurélie William Levaux 
2021C014

Avant que je n’oublie mon ordinateur à Caen comme une pauvre conne, j’avais commencé à écrire un texte où je parlais de ce que je ressentais du besoin d’avoir « une Chambre à soi », rapport à l’essai de Virginia Woolf, à savoir du temps, de l’argent, un espace, mental et physique, pour pouvoir créer et affirmer son génie.

***

J’écrivais un peu fièrement que je n’avais jamais eu besoin de ça. Née dans une immense famille, j’avais passé mon enfance et mon adolescence dans une petite cuisine entourée de mes dix frères et sœurs sans que cela m’importune le moins du monde. Ecrire et dessiner était ce qui permettait de me retrouver et la solitude n’avait jamais été ni un besoin ni une source d’inspiration. Je me souviens parfaitement du jour où, à l’âge de treize ans, j’avais enfin pu avoir une chambre pour moi toute seule. J’en avais rêvé, j’avais même mené de grands combats dans ce seul but et je l’avais eue. Mes parents avaient bricolé de petits espaces individuels dans la maison devenue labyrinthe. J’avais aménagé ma pièce très joliment, avec une attention particulière pour le bureau où, j’en étais certaine, je passerais de très longues heures pour écrire des lettres enflammées, comme toute adolescente normalement constituée, me disais-je avec mon esprit romantique et très ringard de l’époque. Le soir venu, seule dans cette chambre, je m’étais mise à pleurer à chaudes larmes, il m’était impossible de rester seule, je ne le souhaitais pas, ça m’effrayait, me terrorisait. J’avais réintégré la chambre de mes sœurs et jamais je n’avais passé de temps à mon bureau. C’était la cuisine que je préférerais toujours. Par la suite, de la même façon, je pouvais écrire, peindre ou dessiner en faisant d’autres actions quotidiennes et parmi les autres humains, la solitude ne m’allait pas bien, non, il me fallait de l’animation, du bruit et du mouvement pour me concentrer et retrouver cet espace de création à moi, cette bulle toute particulière qui n’avait de raison d’être qu’au milieu du monde vivant. C’était ce que je me disais. Et puis j’avais eu une discussion, une réunion sur Zoom autour de la manière dont nous écrivions, en ce moment et en général, moi et puis Saskia, l’autre autrice en résidence. Elle évoquait les personnages de ses textes pendant que je la contemplais sur l’écran dans son lieu de travail blanc et lumineux. Elle avait créé de toute pièce ses personnages, tout était le produit de son imagination, et on ressentait un travail de fond intelligent, une riche réflexion et une profonde recherche de concept et de structure. Soudain, en l’écoutant, je m’étais dit ça, que si je n’étais pas en mesure d’écrire de la fiction, c’était, comme Virginia Woolf l’expliquait, parce que je n’avais pas exactement cet espace très concret et dédié pour m’y plonger, je ne pouvais que me servir de mon quotidien et de ma pauvre réalité, imaginer « autre chose » était absolument impossible dans le tumulte de ma vie. Peut-être aurait-il fallu que je m’enferme pour arriver à sortir de moi-même, le problème était que j’étais bien trop engluée dans ma vie de famille, bien trop fusionnelle et sans doute bêtement femelle ou trop basiquement humaine pour mettre ça en place, je le réalisais, beaucoup moins fière de moi, en quittant cette réunion littéraire, me sentant comme une simple écrivassière au foyer.

***

J’avais ensuite contacté des personnes de Caen, remplie de gêne en pensant à mon sac oublié avec l’ordinateur, des feuilles de brouillon, mais aussi des sandwiches au poulet et un demi-flanc en train de pourrir en ce moment-même. Personne ne se déplaçait de Caen, ni vers le nord, ni vers le sud. C’était vraiment la merde et écrire sur du papier me donnait plus encore l’impression de pratiquer non pas de la belle littérature, non pas de faire parler le génie en moi, mais de remplir les pages de mon journal intime. Je m’étais aperçue que non seulement j’étais une bouse niveau imagination pure, mais également que, alors que jusque-là je me sentais complètement tout terrain sans aucun besoin sinon de mon brillant esprit, sans mon ordinateur, j’étais complètement paumée, désorientée, démunie, irritable et dispersée car mon ordinateur était, ça me frappait maintenant, je devais bien l’admettre, bien plus qu’un outil, mais réellement ma chambre à moi.

***

Ce soir-là, donc, j’avais décidé que quand je rentrerais dans ma ville wallonne avec mon ordinateur, je me planquerais durant la journée, pour quelques heures, dans un des hôtels du coin pour écrire une histoire érotique, qui ne serait pas la mienne, mais celle d’une femme, Martine, qui reprend contact avec un ancien amant, Marc, tellement son mari, Eric, lui casse les couilles depuis un long moment à force d’être tellement plan-plan et de ne jamais la toucher. Je m’étais contrainte à ça, à écrire cette nouvelle palpitante, il le fallait, c’était un défi important à relever.

 

Demander son avis au garagiste et se décider
Imaginer un premier rendez-vous entre Martine et Marc
Rentrer en Wallonie et écrire une fiction avec Aurélie
Chercher l’inspiration avec un ordinateur

Avant que je n’oublie mon ordinateur à Caen comme une pauvre conne, j’avais commencé à écrire un texte où je parlais de ce que je ressentais du besoin d’avoir « une Chambre à soi », rapport à l’essai de Virginia Woolf, à savoir du temps, de l’argent, un espace, mental et physique, pour pouvoir créer et affirmer son génie.

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J’écrivais un peu fièrement que je n’avais jamais eu besoin de ça. Née dans une immense famille, j’avais passé mon enfance et mon adolescence dans une petite cuisine entourée de mes dix frères et sœurs sans que cela m’importune le moins du monde. Ecrire et dessiner était ce qui permettait de me retrouver et la solitude n’avait jamais été ni un besoin ni une source d’inspiration. Je me souviens parfaitement du jour où, à l’âge de treize ans, j’avais enfin pu avoir une chambre pour moi toute seule. J’en avais rêvé, j’avais même mené de grands combats dans ce seul but et je l’avais eue. Mes parents avaient bricolé de petits espaces individuels dans la maison devenue labyrinthe. J’avais aménagé ma pièce très joliment, avec une attention particulière pour le bureau où, j’en étais certaine, je passerais de très longues heures pour écrire des lettres enflammées, comme toute adolescente normalement constituée, me disais-je avec mon esprit romantique et très ringard de l’époque. Le soir venu, seule dans cette chambre, je m’étais mise à pleurer à chaudes larmes, il m’était impossible de rester seule, je ne le souhaitais pas, ça m’effrayait, me terrorisait. J’avais réintégré la chambre de mes sœurs et jamais je n’avais passé de temps à mon bureau. C’était la cuisine que je préférerais toujours. Par la suite, de la même façon, je pouvais écrire, peindre ou dessiner en faisant d’autres actions quotidiennes et parmi les autres humains, la solitude ne m’allait pas bien, non, il me fallait de l’animation, du bruit et du mouvement pour me concentrer et retrouver cet espace de création à moi, cette bulle toute particulière qui n’avait de raison d’être qu’au milieu du monde vivant. C’était ce que je me disais. Et puis j’avais eu une discussion, une réunion sur Zoom autour de la manière dont nous écrivions, en ce moment et en général, moi et puis Saskia, l’autre autrice en résidence. Elle évoquait les personnages de ses textes pendant que je la contemplais sur l’écran dans son lieu de travail blanc et lumineux. Elle avait créé de toute pièce ses personnages, tout était le produit de son imagination, et on ressentait un travail de fond intelligent, une riche réflexion et une profonde recherche de concept et de structure. Soudain, en l’écoutant, je m’étais dit ça, que si je n’étais pas en mesure d’écrire de la fiction, c’était, comme Virginia Woolf l’expliquait, parce que je n’avais pas exactement cet espace très concret et dédié pour m’y plonger, je ne pouvais que me servir de mon quotidien et de ma pauvre réalité, imaginer « autre chose » était absolument impossible dans le tumulte de ma vie. Peut-être aurait-il fallu que je m’enferme pour arriver à sortir de moi-même, le problème était que j’étais bien trop engluée dans ma vie de famille, bien trop fusionnelle et sans doute bêtement femelle ou trop basiquement humaine pour mettre ça en place, je le réalisais, beaucoup moins fière de moi, en quittant cette réunion littéraire, me sentant comme une simple écrivassière au foyer.

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J’avais ensuite contacté des personnes de Caen, remplie de gêne en pensant à mon sac oublié avec l’ordinateur, des feuilles de brouillon, mais aussi des sandwiches au poulet et un demi-flanc en train de pourrir en ce moment-même. Personne ne se déplaçait de Caen, ni vers le nord, ni vers le sud. C’était vraiment la merde et écrire sur du papier me donnait plus encore l’impression de pratiquer non pas de la belle littérature, non pas de faire parler le génie en moi, mais de remplir les pages de mon journal intime. Je m’étais aperçue que non seulement j’étais une bouse niveau imagination pure, mais également que, alors que jusque-là je me sentais complètement tout terrain sans aucun besoin sinon de mon brillant esprit, sans mon ordinateur, j’étais complètement paumée, désorientée, démunie, irritable et dispersée car mon ordinateur était, ça me frappait maintenant, je devais bien l’admettre, bien plus qu’un outil, mais réellement ma chambre à moi.

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Ce soir-là, donc, j’avais décidé que quand je rentrerais dans ma ville wallonne avec mon ordinateur, je me planquerais durant la journée, pour quelques heures, dans un des hôtels du coin pour écrire une histoire érotique, qui ne serait pas la mienne, mais celle d’une femme, Martine, qui reprend contact avec un ancien amant, Marc, tellement son mari, Eric, lui casse les couilles depuis un long moment à force d’être tellement plan-plan et de ne jamais la toucher. Je m’étais contrainte à ça, à écrire cette nouvelle palpitante, il le fallait, c’était un défi important à relever.

 

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Imaginer un premier rendez-vous entre Martine et Marc
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