Aurélie William Levaux
2021C016
Nous étions rentrés en Wallonie, l’eau avait monté brusquement, on rapatriait les gens des villages des alentours vers la ville. Des frigos et des bonbonnes de gaz passaient sous les ponts, l’eau était noire et déchaînée, des sirènes de pompier et des hélicos se faisaient entendre dans tous les coins, les routes étaient bloquées. La ville était sous l’eau, toute la province était sous l’eau. Jamais ce n’était arrivé ici. Pas à ce point, jamais. Des torrents de boue embarquaient tout sur leur passage, les meubles et les voitures étaient emportés, des maisons s’écroulaient sous la pression, les gens montaient aux étages des immeubles et attendaient sur les toits que les secours arrivent. Les réseaux étaient saturés. Un barrage menaçait de sauter et la pluie ne s’arrêterait dans les jours à venir. La seule chose qui aurait pu être utile aurait été de sortir les familles des zones inondées avec des bateaux à moteur. Nous n’avions pas de bateau. Alors, mieux valait rester chez soi, ne pas encombrer les routes, ne pas risquer d’être happé par les rivières furieuses qui n’en finissaient pas de monter. Je m’étais enfin mise à écrire.
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Marc, l’ancien amant de Martine, serait devenu chauve et aurait pris la voie du consensus mou. Ils ne coucheraient pas ensemble, les deux. Ou si, ils coucheraient ensemble, mais s’interrompraient pour parler du pass sanitaire, ce qui ferait totalement débander Marc, je songeais, en faisant les courses quand un homme m’avait soudain interpellée. Excusez-moi, madame, mais vous vous promenez avec mon caddie, il m’avait sermonnée. J’avais sursauté, observé le caddie dans lequel je venais de déposer du pcul et de la pâtée pour chat et qui contenait maintenant des packs de bière et qui effectivement ne m’appartenait pas. Je m’étais excusée et avait retrouvé le mien, quelques mètres plus loin, au rayon boucherie.
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De Marc, ce dont Martine se souvenait, c’étaient ses mains aux longs doigts habiles. Elle l’avait connu alors qu’ils n’avaient pas même trente ans, déjà alors, elle ne le trouvait pas bien intéressant, mais il avait cette immense qualité, rare : il faisait jouir les femmes, en tout cas il la faisait jouir, elle. Elle qui n’avait jamais joui de sa vie, enfin seule oui, mais jamais avec un homme, avait eu l’impression de découvrir Dieu. Non, elle n’était pas anormale, non, elle n’était pas frigide, oui, son corps fonctionnait parfaitement, il suffisait simplement qu’on appuie sur les bons boutons. Oui, Dieu existait. Pour cette unique raison, non des moindre, elle avait même cru, à l’époque, durant un temps relativement court, qu’elle était amoureuse.
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Marc entre-temps, serait devenu PDG d’une boîte de com, ultra capitaliste et pro-vaccin, à la grande déception de Martine fondue d’homéopathie et de méditation, j’imaginais, très moyennement convaincue, en avançant vers les caisses. Martine, en pré-ménopause, aurait de grandes montées de désir, mais serait-elle en mesure de contrarier ses convictions pour une simple baise avec un vieux con ? Aux caisses, il n’y avait pas d’humains, mais des machines pour les remplacer, j’avais scanné le pcul, la pâtée pour chat, le chocolat, la courgette et le reste. Me trompant dans mes manœuvres, la machine avait buggé. Un humain était alors arrivé, pas un caissier, puisque ça n’existait plus, mais un contrôleur de la scannette, qui avait tout rescanné en faisant la gueule parce que je n’avais pas pesé la courgette. J’avais rempli mon sac, fait tomber mon sac, l’avais rempli à nouveau, nerveusement, puis, devant la porte automatique, avais remarqué que j’avais oublié le ticket de caisse et que j’étais donc coincée. Le contrôleur de la scannette était revenu, avait fait passer le badge qu’il portait en collier devant la porte automatique. Vous n’avez pas la tête sur les épaules, madame, il m’avait lancé les sourcils froncés. Non, je n’avais pas la tête sur les épaules, peut-être jamais, mais certainement pas aujourd’hui. Avant de partir, j’avais mis du répulsif pour chat sur tous les tapis, il avait étonnamment moussé, c’est la petite qui avait dû me faire remarquer que je m’étais trompée de bidon, que j’avais utilisé le très agressif Décap’four. Je n’avais pas la tête sur les épaules, non. Cette affaire de pondre une fiction me prenait pas mal d’énergie, mais également le décès de ma grand-mère que je ne parvenais toujours pas à réaliser.
S’évader dans la chambre à soi
Aller à l’enterrement de la Grand-mère