Skip to content
Aurélie William Levaux 
2021C022

À notre retour dans la Belgique inondée, on s’était dit qu’il nous fallait agir pour les sinistrés. L’idée de prêter notre caravane jusqu’à notre prochain départ nous semblait être une super idée. On avait lancé des annonces sur les réseaux sociaux et très vite on avait eu des retours de bénévoles qui nous avaient déclaré que de nombreux habitants d’un camping résidentiel au bord de l’Ourthe restaient sans logements. On s’était rendus sur place, tractant la caravane sur les chemins boueux aux pavés arrachés. Sur le pont menant au village, un type à la tête étrange, avec des yeux un peu trop espacés, était venu à notre rencontre. Merci de m’amener cette caravane, ça fait longtemps qu’on l’attendait, les enfants dorment dans la voiture, avait lancé le type entouré de ses nombreux enfants portant le même visage bizarre que lui. Une des bénévoles que j’avais eue au téléphone était arrivée. Monsieur, elle n’est pas pour vous, elle est réservée pour quelqu’un d’autre. Il avait essayé de négocier puis était reparti, très déçu, suivi de ses gamins sales et épuisés. Un peu plus loin, on avait eu le même problème. Une dame et sa fille attendaient elles aussi cette caravane comme la venue du Messie. Très gênés, on avait dû également la leur refuser.

***

La bénévole nous avait conduit jusqu’au camping, enfin, ce qui en restait. En vrai, il avait totalement disparu, la centaine de cabanes et de mobilhomes qui normalement remplissaient le terrain étaient retournées, des planches et de la tôle étaient éparpillées partout, l’eau était montée jusqu’à trois mètres, un véritable tsunami avait tout emporté, des bris de verre, des morceaux de machine à lessiver étaient fichés très haut dans les arbres. Les résidents, déjà extrêmement précaires, avaient fui sans rien emporter tant l’inondation avait été rapide et brutale, pour se réfugier sur les hauteurs du village. On observait avec horreur le champ de ruine. Ces gens n’ont reçu aucune aide, ni de l’État, ni de la Croix Rouge, encore moins de la commune, qui essayait déjà de les dégager depuis de nombreuses années et voit la destruction de ce lieu de vie comme une sacrée aubaine pour le récupérer afin d’en faire un lieu de loisir, a confié la bénévole, qui était arrivée dans la zone par hasard et n’en était plus repartie tellement il y avait du boulot. Dès les premiers jours suivants le carnage, on leur a supprimé leur adresse de résidence et dans la foulée, puisqu’il faut avoir un domicile pour bénéficier d’aide, on leur a coupé les allocations, elle a continué. On regardait ces gens, miséreux, peu instruits, souvent malades, esseulés, sans amis ou famille pour les soutenir, errer devant le camping, sous les tentes qu’ils avaient montées à l’arrache. C’était inimaginable. La presse ne s’était pas souciée d’eux, comme ils l’étaient dans l’ancienne vie, parias de la société, ils l’étaient plus encore maintenant, complètement livrés à eux-mêmes, désarmés et crevant de froid et de faim, les pieds dans la merde. J’avais du mal à me dire qu’on était en Europe, le spectacle était absolument choquant. Et encore, ces gens étaient des résidents belges, je n’imaginais même pas l’enfer pour les autres, les réfugiés, les sans-papiers. Notre pays de la honte, après nous avoir tanné avec sa prétendue solidarité, celle de rester enfermés chez soi, laissait maintenant les gens littéralement mourir, on en avait la preuve sous nos yeux.

***

On avait désattelé la caravane et on s’était présenté à Jean, en larmes et en pantoufles dans son fauteuil roulant électrique. Ça fait quinze jours qu’on dort sous la tonnelle, dans l’humidité, les gouttes nous tombent dessus, il avait dit doucement. Jean avait, par-dessus ça, des problèmes de cœur plutôt graves. Il avait également, comme la majorité des anciens résidents du camping, énormément de chiens en plus du chihuahua, huit au total, qu’il ne savait où caser. Vous voyez qu’il y a encore des humains, vous voyez qu’il reste encore des gens généreux, quel immense cadeau que de vous offrir leur caravane, avait alors souri la bénévole, très touchée, en remplissant les tasses de mousseux. On s’était regardés Baptiste et moi, comprenant qu’il y avait eu un léger malentendu. Hum, excusez-moi, c’est un prêt, nous devons la récupérer pour repartir en tournée fin du mois, nous ne sommes pas très riches non plus, j’ai chuchoté à la bénévole. Elle a eu l’air un peu ennuyée. C’est que j’ai peur qu’elle ne vous soit pas rendue en bon état, et puis on ne sait pas du tout quelle sera la suite de cette affaire ni combien de temps ça va durer, elle avait hésité. Bon, on s’engage à en trouver d’autres, j’ai lancé, très confiante, on va en trouver une pour remplacer la nôtre et puis d’autres pour toutes les familles qu’on a croisées, là, je lui ai promis. On était repartis dans notre SUV de comptable, relativement traumatisés. Tu crois qu’on va y arriver ? j’avais demandé à Baptiste. Je crois surtout qu’on n’a pas le choix, il avait répondu. Et nous avions entamé notre nouvelle mission de vie, tombée du ciel comme par enchantement, celle de chercheurs de caravanes gratuites.

 

Aller à l’épilogue
Choisir une fin pleine d’espoir

À notre retour dans la Belgique inondée, on s’était dit qu’il nous fallait agir pour les sinistrés. L’idée de prêter notre caravane jusqu’à notre prochain départ nous semblait être une super idée. On avait lancé des annonces sur les réseaux sociaux et très vite on avait eu des retours de bénévoles qui nous avaient déclaré que de nombreux habitants d’un camping résidentiel au bord de l’Ourthe restaient sans logements. On s’était rendus sur place, tractant la caravane sur les chemins boueux aux pavés arrachés. Sur le pont menant au village, un type à la tête étrange, avec des yeux un peu trop espacés, était venu à notre rencontre. Merci de m’amener cette caravane, ça fait longtemps qu’on l’attendait, les enfants dorment dans la voiture, avait lancé le type entouré de ses nombreux enfants portant le même visage bizarre que lui. Une des bénévoles que j’avais eue au téléphone était arrivée. Monsieur, elle n’est pas pour vous, elle est réservée pour quelqu’un d’autre. Il avait essayé de négocier puis était reparti, très déçu, suivi de ses gamins sales et épuisés. Un peu plus loin, on avait eu le même problème. Une dame et sa fille attendaient elles aussi cette caravane comme la venue du Messie. Très gênés, on avait dû également la leur refuser.

***

La bénévole nous avait conduit jusqu’au camping, enfin, ce qui en restait. En vrai, il avait totalement disparu, la centaine de cabanes et de mobilhomes qui normalement remplissaient le terrain étaient retournées, des planches et de la tôle étaient éparpillées partout, l’eau était montée jusqu’à trois mètres, un véritable tsunami avait tout emporté, des bris de verre, des morceaux de machine à lessiver étaient fichés très haut dans les arbres. Les résidents, déjà extrêmement précaires, avaient fui sans rien emporter tant l’inondation avait été rapide et brutale, pour se réfugier sur les hauteurs du village. On observait avec horreur le champ de ruine. Ces gens n’ont reçu aucune aide, ni de l’État, ni de la Croix Rouge, encore moins de la commune, qui essayait déjà de les dégager depuis de nombreuses années et voit la destruction de ce lieu de vie comme une sacrée aubaine pour le récupérer afin d’en faire un lieu de loisir, a confié la bénévole, qui était arrivée dans la zone par hasard et n’en était plus repartie tellement il y avait du boulot. Dès les premiers jours suivants le carnage, on leur a supprimé leur adresse de résidence et dans la foulée, puisqu’il faut avoir un domicile pour bénéficier d’aide, on leur a coupé les allocations, elle a continué. On regardait ces gens, miséreux, peu instruits, souvent malades, esseulés, sans amis ou famille pour les soutenir, errer devant le camping, sous les tentes qu’ils avaient montées à l’arrache. C’était inimaginable. La presse ne s’était pas souciée d’eux, comme ils l’étaient dans l’ancienne vie, parias de la société, ils l’étaient plus encore maintenant, complètement livrés à eux-mêmes, désarmés et crevant de froid et de faim, les pieds dans la merde. J’avais du mal à me dire qu’on était en Europe, le spectacle était absolument choquant. Et encore, ces gens étaient des résidents belges, je n’imaginais même pas l’enfer pour les autres, les réfugiés, les sans-papiers. Notre pays de la honte, après nous avoir tanné avec sa prétendue solidarité, celle de rester enfermés chez soi, laissait maintenant les gens littéralement mourir, on en avait la preuve sous nos yeux.

***

On avait désattelé la caravane et on s’était présenté à Jean, en larmes et en pantoufles dans son fauteuil roulant électrique. Ça fait quinze jours qu’on dort sous la tonnelle, dans l’humidité, les gouttes nous tombent dessus, il avait dit doucement. Jean avait, par-dessus ça, des problèmes de cœur plutôt graves. Il avait également, comme la majorité des anciens résidents du camping, énormément de chiens en plus du chihuahua, huit au total, qu’il ne savait où caser. Vous voyez qu’il y a encore des humains, vous voyez qu’il reste encore des gens généreux, quel immense cadeau que de vous offrir leur caravane, avait alors souri la bénévole, très touchée, en remplissant les tasses de mousseux. On s’était regardés Baptiste et moi, comprenant qu’il y avait eu un léger malentendu. Hum, excusez-moi, c’est un prêt, nous devons la récupérer pour repartir en tournée fin du mois, nous ne sommes pas très riches non plus, j’ai chuchoté à la bénévole. Elle a eu l’air un peu ennuyée. C’est que j’ai peur qu’elle ne vous soit pas rendue en bon état, et puis on ne sait pas du tout quelle sera la suite de cette affaire ni combien de temps ça va durer, elle avait hésité. Bon, on s’engage à en trouver d’autres, j’ai lancé, très confiante, on va en trouver une pour remplacer la nôtre et puis d’autres pour toutes les familles qu’on a croisées, là, je lui ai promis. On était repartis dans notre SUV de comptable, relativement traumatisés. Tu crois qu’on va y arriver ? j’avais demandé à Baptiste. Je crois surtout qu’on n’a pas le choix, il avait répondu. Et nous avions entamé notre nouvelle mission de vie, tombée du ciel comme par enchantement, celle de chercheurs de caravanes gratuites.

 

Aller à l’épilogue
Choisir une fin pleine d’espoir