Ariane Lessard
2021B001
Je suis arrivée par l’océan Nord après environ trois semaines de navigation. Le bateau nous a laissées, elle et moi, sur un radeau au large d’une grande croûte de glace. Keno, une Inuite, nous attendait sur le désert blanc. Elle a dit de ne pas avoir peur de la glace, que c’était la route la plus solide. Nous avons marché avec elle et nos valises jusqu’à ce qu’elle dise voilà la terre ferme. Nous y avons laissé l’embarcation. Au loin devant nous se trouvait l’hôtel. Nous sommes arrivées masquées. Je trouve que l’autre femme qui a amarré avec moi possède des yeux magnifiques. Je ne l’ai vue que rapidement sans son masque dans la cafétéria du bateau, le reste du temps, je demeurais dans ma cellule, comme une bonne passagère, observant le liquide se foutre contre le hublot. Un lit, une petite salle de bain avec douche et un petit coin pour écrire.
Le pont était froid et j’y allais seule le soir, observer les astres qui prenaient toute la place de la nuit.
Nos pas se sont enfoncés dans la neige, ont fait crisser la neige, jusqu’à atteindre la façade nord du bâtiment. Et à force de longer ce mur, le sol est devenu plus tempéré. À l’angle Nord-Ouest, il n’y avait déjà plus de neige. J’ai vu un jardin qui semblait encerclé d’une enceinte, et en face de lui, l’océan Ouest qui s’allongeait devant une plage avec un soleil. Nous sommes arrivées à une façade en pierre et la vieille dame a pris nos valises pour les désinfecter. La femme aux jolis yeux m’a regardée, mais nous n’avons rien dit. Nous nous sommes avancées vers la porte et une petite latina nous a ouvert. « Mesdames suivez-moi je suis Silvia. » J’ai enlevé mon manteau, qui n’était déjà plus de saison, et suivi les autres. Un grand hall s’ouvrait derrière l’entrée, éclairé par de larges fenêtres qui donnaient sur une cour intérieure où nous sommes ressorties. Je n’ai pas eu besoin de remettre mon manteau. Puis nous sommes passées par une autre salle, celle-là ornée de grands miroirs sur tous les murs et avec des lustres au plafond.
Un tapis avec de grosses fleurs en bouquet, en son centre, recouvre son sol. Deux portes à battant nous font pénétrer dans une cuisine très nette aux comptoirs en inox. Nous avons ensuite grimpé un escalier et Silvia nous a pointé deux chambres. 44 pour moi, 45 pour elle. « Vous habiterez ici pour vos confinements. » Je suis entrée dans la chambre qui contenait une salle de bain et une cuisinette avec un balcon. « Nous emmènerons vos bagages dans quelques minutes. » Et elle est partie. La porte a été fermée. Nouvelle cellule.
*
Il y a un sentiment étonnant de se retrouver dans une chambre qui ne bouge plus. La mer, houleuse, m’avait habituée à l’état des vagues. Je m’étends sur le lit double qui est plus confortable que celui de ma cabine. Je reste là, le visage enfoncé. Pendant un instant j’ai l’impression que la chambre tangue, mais c’est une illusion. J’ouvre l’œil et tourne la tête, mon manteau traîne sur le fauteuil adjacent au lit. Je prends mon calepin et dessine la chambre.
Mon lit vogue encore tandis que je m’endors la face contre le matelas.
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Je me réveille la bave sur l’édredon, à l’entente des cognements contre la porte. Je me précipite pour ouvrir, et trouve mon bagage déposé là. Pas de traces de Silvia ni de la femme aux jolis yeux. Je suis tentée d’aller cogner à sa porte, mais retourne dans ma chambre. Le soleil a baissé dans la fenêtre et illumine maintenant l’océan Ouest de manière stupéfiante. J’ouvre la double porte vitrée du balcon, et remarque la piscine juste dessous. Je suis fascinée, un instant, par cet œil qui se dessine, en son centre. Il flotte au milieu du bassin et les vagues donnent l’impression qu’il bouge. Personne ne nage.
Mon balcon est une continuation de l’isolement de la chambre. Entourée de deux murs, je me retrouve invisible des voisines. Seules les personnes qui peuplent la piscine et cet œil pourraient m’apercevoir.
Je suis tentée de me déshabiller.
Aller dans la chambre de la femme aux jolis yeux
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Je trouve déjà pénible de retourner dans ma cellule. Mais je comprends qu’il faut que je me confine. Je me demande combien de temps encore il faudra, avant que les économistes au pouvoir se rendent compte qu’il est temps de changer d’ère. Les pandémies seront répétitives autrement, infinies.
J’éventre mon sac sur le lit et place mes vêtements en pile sur la commode, mes calepins crayons et ordinateur sur la table ronde de la cuisinette, et mes livres sur la table de chevet. Je me rends à la salle de bain où je dépose ma trousse de toilette. Je n’y mets presque plus rien. Si je me rappelle mes premiers voyages dans la vingtaine, j’y collectionnais les accessoires. Entre autres, cette affreuse machine épilatoire électrique, qui avait failli mettre le feu à mon appartement parisien, à cause de son adaptateur déficient. Je pense que c’est un des moments qui m’ont poussée à arrêter l’épilation. S’il en va de ma sécurité, je préfère mes poils. J’y traînais aussi mon maquillage, un parfum, des bijoux, choses que je ne porte presque plus aujourd’hui. J’ai tout de même apporté un mascara et un bâton de rouge à lèvres. Je sais que j’en aurai besoin pour me tracer un visage, pendant ces deux semaines à me mirer seule devant les glaces de la chambre et de la salle de bain. Je me regarde beaucoup pour faire passer le temps. J’ai développé ce réflexe depuis l’enfance, je ne sais pas si c’est un acte narcissique ou si c’est simplement une façon de me voir comme qui me voit, de me représenter mon image. Peut-être que c’est un réflexe animalier, comme une chatte qui ne comprend pas qu’elle est face à elle-même, se braque, croit peut-être se reconnaître puis se dédouble à nouveau. Dans mon appartement, à trois semaines de bateau, j’habite seule avec cette glace qui sert de porte à la douche. Alors parfois je suis avec une autre. Le confinement pandémique n’a pas beaucoup changé mon rapport à mon intimité. Je suis souvent seule. J’ai le loisir de l’éloignement quotidien.
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J’écris étendue sur mon lit même si la table ronde possède trois chaises. Je me regarde noircir les pages dans la grande glace qui se trouve au-dessus de la commode. J’étudie mes gestes. Les poignées donnent l’impression d’être d’autres yeux qui m’observent. Je jure que l’une d’elles me fera un clin d’œil d’ici la fin de ces deux semaines.
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La chambre possède une cuisinette avec un four et un mini-frigo qui contient des aliments végétaliens. Je me prépare un souper, mange, me recouche sur le lit. Ce qui sera difficile ces jours durant, c’est de ne pas avoir la place pour marcher. Je ne comprends pas que personne n’utilise la piscine. Elles ont peut-être peur de cet œil qui pourrait regarder leurs jambes. J’ai hâte de pouvoir y plonger.
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La salle de bain est coquette. J’admire les motifs des carreaux quand je suis aux toilettes. J’ai remarqué une tuile posée à l’envers. Elle est située en bas, dans le coin inférieur au pied du bain. Elle change l’ordre des motifs. On est comme attirées par son insouciance. Je ne vois plus que cette tuile. Je me demande si les maçonnes l’ont fait exprès, il y a quoi, trente ans ? Elle détruit l’équilibre de toutes les autres, son ruban de fleurs roses est posé à l’inverse de la suite. Je suis obsédée.
Il faut monter une marche pour se rendre dans la douche. J’ai toujours la trouille de me laver seule dans une nouvelle salle de bain. Trop de scènes répétées de femmes tuées dans la céramique. Marion Crane morte dans la douche du Bates Motel. J’entends encore la musique. Wendy et Danny, réfugié·es dans la salle de bain dont la porte sera trouée à la hache par leur mari et père, et cette femme en décomposition dans le bain de la chambre 237 du même Overlook. Ou encore le gant de Freddy avec ses lames entre les cuisses de Nancy dans son bain moussant. Tout lie l’horreur, au corps nu d’une femme.
En même temps, c’est un des seuls endroits où je me sens véritablement confortable dans l’étude personnelle de mon corps. Je me mire dans les glaces, fais des façons à ma double, paresse dans la baignoire. C’est comme si ce petit lieu avait été volé de l’intimité permise, ses murs troués par le male-gaze. J’ai eu peur pendant des années que l’on m’observe par la fissure camouflée derrière le cadre.
La salle de bain a longtemps été le refuge des mères qui souhaitaient s’échapper de la domesticité. La mode des living et dining rooms à aires ouvertes, dans les années 50, qui rendaient les enfants visibles en tout temps par la ménagère, venait avec son pendant négatif, les mères étaient toujours observées elles aussi. Le besoin d’un espace fermé, qui permet également ce lieu mental, était déjà étudié par Virginia Woolf en 1929. Bien sûr, il faut un espace en dehors de la salle de bain pour les femmes, sinon on devient prédestinées aux chiottes.
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Je me masturbe devant le miroir au-dessus des yeux de ma commode en regardant mes pauses. Mon corps se déleste des angoisses. Je m’endors au milieu du lit.
Je rêve que je touche cette tuile sacrilège dans la salle de bain. Les murs se déplient alors et laissent voir une entrée rectangulaire. Je me déplace entre le ciment comme emmurée. Il y a un palier à monter, pour s’introduire dans l’entre deux murs. C’est un tunnel. Je marche dans cet espace pieds nus et j’ai peur de me faire mordre par des rats ou des araignées. Je suis dans la poussière et je monte un escalier cylindrique qui me mène à ce qui semble être une aile abandonnée de l’hôtel. Espace dépeuplé, puis caché dans la salle de bain de la chambre 44. Je vois les chambres E-1011 et E-1012. Quelle est donc cette aile E ? Subtilisée comme ça au hasard de deux vides, comme ces maisons Eel’s Nest qui essaiment dans l’architecture japonaise. Des maisons glissées dans les interstices libres entre deux autres habitations, des constructions sur les restes. Pourquoi avoir construit des chambres à l’intérieur d’autres chambres ? La 44 est la bouche de l’aile E. Je suis la bouche de l’aile E. J’ai l’impression de me trouver dans la tourelle d’un ancien château. Princesse prisonnière de sa chambre d’hôtel. E-1020, E-1025. J’avance dans ce couloir ancien et vétuste, de pierres et de bois. Puis j’ai peur de me piquer sur un fuseau. E-1027, la porte s’ouvre sans la clé, une rangée de fenêtres plus larges que hautes laissent voir une ligne de soleil à l’horizon. Je pensais que c’était la nuit dans mon rêve. Des miroirs en mobiles tournent accrochés aux plafonds.
Ma tour moyenâgeuse est devenue une pièce stylisée. Je sors sur le balcon qui a une vue imprenable. Je crois être située au-dessus de ma chambre, mais je n’ose pas m’avancer près de la balustrade, je me connais. Je tombe toujours dans mes rêves si je m’approche des précipices ou des vides. Ce vieux balcon pourrait tanguer, se détacher du mur et s’écraser dans la piscine et alors je tomberais dans l’eau moi aussi, avec de la brique et du mortier. Je ne tombe pas, mais pense à ma chute. La pensée de cette eau me réveille et je vais uriner.
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Assise sur la toilette, je fixe la tuile.
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En me recouchant, je prends alors conscience de la nouvelle chambre. Je n’ai pas tiré les rideaux de la porte vitrée, et les murs possèdent ces reflets, de la lune peut-être. Je me sens aussi souvent craintive des nouveaux sommeils dans des endroits inconnus. Il me faut environ une semaine pour me remettre de l’effroi d’un nouveau lit, d’une nouvelle pièce. Avec mon ex-copain, dans mon ancien appartement à Montréal, j’avais encore peur de la chambre deux ans après l’emménagement, si je devais y dormir seule. Les orteils toujours recouverts par la couette, pour éviter qu’un monstre ne les attrape dans la noirceur.
Je me lève et me dirige vers la porte vitrée pour couper la danse des lumières au plafond. J’ouvre la porte quelques minutes pour prendre l’air, et j’entends des clapotements dans la piscine. Par-dessus mon balcon, j’observe ce groupe de nageuses qui font de l’aquaforme dans la nuit. C’est une heure matinale que je ne joins que rarement, à moins d’être saoule ou d’avoir une envie pressante. Je souris devant ces sirènes en casques de bain et retourne me coucher.
Au réveil, je regarde mon carnet et je me rends compte que j’y ai noté des choses dans la nuit.
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Note : Je veux ouvrir la porte et sortir d’ici.
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«Seule nécessité, l’occupation du lit. Vide, il m’inquiète.»
Sophie Calle, Les Dormeurs.
J’écris enfin sur la table, pour mieux observer le lit. Tout de même, cet espace intime devient un lieu de partage dans l’hôtel. Qui était étendue là avant moi ? Sur quelles empreintes est-ce que je me couche ? Depuis quelque temps je dors seule et je me suis habituée à cette solitude. Je dors entre deux oreillers, peut-être pour mimer les corps ou tracer les frontières du mien. Je ne sais plus ce qui m’a poussée à m’encadrer de cette manière avant le sommeil. Je pense que mes oreillers sont peut-être devenus les toutous dans lesquels je projetais mes amulettes protectrices. La géographie intime du lit est sans cesse à refaire. Dans mon lit je parle, je pète, je fume, je mange, je dors, je ris, je tombe amoureuse, je fais l’amour, je me fais violer, je paresse, j’écris, je me confie, je meurs. Et c’est comme ça dans toutes les maisons.
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«The bed is one of the most critical sites of social, cultural, artistic, psychological, medical, sexual and economic transactions.»
Beatriz Colomina, The century of the bed.
Un bateau s’amarre sur le quai de l’océan Ouest, en sortent quelques femmes qui sont accueillies. Elles marchent vers cette tente et seront probablement mises dans des chambres elles aussi, dans l’attente. Plus qu’une semaine avant de sortir de la chambre de mon lit.
Je rêve à nouveau à ce tunnel par la tuile décentrée. Cette fois, les passages me mènent plutôt vers le bas et je descends dans les entrailles de l’hôtel, retrouvant le sentiment du château. Je m’imagine me diriger vers les donjons. Les lieux sont-ils construits sur des décombres comme dans un hôtel palimpseste ? Peut-être n’existe-t-il que des refondations. Je descends encore ces escaliers de pierre sans chaussures et je me trouve stupide de cet oubli répété. Je suis déjà trop enfoncée dans les murs pour revenir, et puis qui ici est véritablement capable d’influencer ses rêves ? Je ne veux pas me réveiller alors je descends. Je ne ressens pas la froideur des paliers, ce n’est que cette peur qui s’agrippe encore, celle de marcher sur un animal. J’arrive dans une grande salle qui me semble être un vestige d’habitation. Le plafond est bas et des poutres le soutiennent. Je marche dans cet espace qui me semble ancien, comme dans des ruines. Je suis allée trop creux peut-être. Je me trouve dans les fondations. L’impression grandissante d’une présence dans la cave avec moi me fait frissonner. Quand je cherche à rejoindre l’escalier, je ne le retrouve plus, l’endroit où il était situé semble s’être rebouché. Les poutres flanchent sous le poids du plafond et me voilà ensevelie.
Qui était là, avec moi dans les ruines, avant que je disparaisse ?
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Je me demande comment vit la femme aux jolis yeux dans sa chambre jumelle. Écrit-elle elle aussi ? Est-ce qu’elle pense à moi ? Pourquoi sommes-nous arrivées seules ensemble sur ce bateau alors que les débarquements depuis l’océan Ouest semblent être quotidiens ? Les nageuses continuent leurs exercices à l’aurore dans la piscine. Je me suis mise à me réveiller tous les jours vers quatre heures pour les observer. Je fais des siestes fréquemment dans la journée pour reprendre mes heures de sommeil et comprendre l’architecture de l’hôtel. Les yeux de ma commode me regardent continuellement. Je voudrais les crever. Plus qu’un jour et je pourrai enfin sortir de cette chambre.
Rejoindre la femme aux jolis yeux
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J’attends que l’on vienne m’autoriser à sortir. Je passe la journée sur mon lit à paresser puis me déplace au balcon, la piscine est toujours vide. Je vais à la salle de bain, me regarde dans tous les miroirs. J’entre et ressors ce ventre, plisse et déplisse ce front, ouvre et ferme ma bouche. Puis je regarde la tuile.
Le soleil se couche sur l’océan Ouest et personne n’est venue me chercher. Je ne sais pas si elles m’ont oubliée ici ou si je devrais sortir moi-même. Je pourrais ouvrir et crier, ou avertir les baigneuses demain matin. On s’habitue vite à ne voir personne. On se met à se parler beaucoup, à faire des siestes et à rêver et s’imaginer des trucs. Je me décide quand même à accéder à la porte. J’enlève les verrous, qui ne m’auront servi à rien, et j’ouvre. À la place de la sortie qui est aussi l’entrée se trouve un mur qui a été construit sans que je ne me rende compte de rien. Je ne peux pas le croire et tends la main pour le toucher. Il est aussi froid qu’auraient dû être ces paliers que je descendais quelques nuits plus tôt. Je le pousse, mais il est solide. Je hurle pour qu’on vienne le détruire, que sais-je, avec une masse. Je vais chercher une chaise et je la tire violemment contre ce qui devait être troué. Je ne comprends pas ce jeu. Je rage contre cette paroi. La cogne avec mes jointures, la botte. Je vais au balcon et crie encore de plus belle. Je ne trouve pas ça drôle. « Sortez-moi de cette chambre ! À l’aide ! » Je suis une princesse dans sa tour et ça me répugne. Pourquoi m’ont-elles enfermée ici ?
Tout à coup, comme propulsée par ma voix, la femme aux jolis yeux saute de son balcon. Elle apparaît en chute libre à ma droite et atterrit dans l’œil de la piscine en un fracas énorme suivi du bruit des remous. Je regarde son corps qui valse avec ses vêtements dans l’eau. Toute la surface est brouillée. J’espère qu’elle ne s’est pas tuée. Je suis tendue, accrochée à la rambarde. Je hurle à nouveau pour qu’on aille voir si elle est morte. Elle fait des bulles, j’espère qu’elle ne se noiera pas. Je suis aux premières loges de ce spectacle funèbre. Je ne veux pas sauter avant qu’elle remonte. Une morte vaut mieux que deux. Mais si je reste enfermée dans la chambre, je finirai par manquer de nourriture. La femme remonte. J’accompagne son inspiration comme si j’avais oublié de respirer. Elle émerge dans l’eau et se met à rire d’un rire fou. Elle s’étend sur le dos et flotte. Je lui crie après. Elle m’observe depuis la cour, nage vers moi. « Je regardais la piscine voyeuse depuis hier, je pensais être dans la partie creuse et j’avais raison ! Ta chambre est du côté non creux et je doute que tu t’en sortes. Je touche au fond ici. » Elle me dit ça en se redressant, posant ses pieds au sol, l’eau lui arrête à la poitrine. Je ne pourrai pas sauter.
« Tu avais un mur à ta porte ?
— Oui ! Hahaha ! »
Elle rit tandis qu’elle replonge dans l’eau. Je suis subjuguée. Comment sortir si la chambre 44 est devant la partie non creuse de la piscine ? Je me mets à paniquer. Je pense que je fais une crise. Je vais à la salle de bain m’asperger le visage d’eau. Puis je regarde la tuile. C’est le temps je pense. J’appuie sur celle qui est posée à l’envers.
Rejoindre la femme aux jolis yeux
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Ce que tout ça peut être cryptique. J’ai besoin d’air. Je ne sais pas ce qui m’a fait concevoir ce passage en songes. Je m’insère dans les murs pour trouver une issue. L’escalier de l’aile E et celui du donjon ont disparu. C’est un nouveau tunnel. J’ai traîné mon sac et enfilé mes chaussures pour éviter l’inconfort de mes rêves. Je marche dans cet espace qui rapetisse à mesure que je m’enfonce. Il faut que je me mette à quatre pattes, puis à ramper en poussant mon sac au-devant de moi. J’arrive à cet endroit où le sol et le plafond se rejoignent et je bute au bout du tunnel. Je braille et hurle encore à qui peut m’entendre, avant de ramper difficilement de reculons pour rejoindre l’agrandissement du tunnel. Je pourrais me laisser mourir de désespoir dans ce passage, mais ça me ressemble peu. Je me relève et fais demi-tour. De retour à la chambre, je vais dans le tiroir de la cuisinette chercher des couteaux et des fourchettes qui me seront peut-être utiles, je me dis stupidement, si je commence à entailler le sol. Je suis une prisonnière qui va se creuser son évasion. Je retourne au tunnel, qui a repris la forme de l’aile E. Je grogne, mais décide de monter quand même cet escalier cylindrique qui ressemble à un grand sablier. Je me demande si mon sac a disparu, avalé par ce tunnel en cul-de-sac. Il ne me reste plus que mon calepin. J’ai perdu mon ordinateur. Et peut-être qu’il me reste trois carottes dans le mini-frigo de la chambre 44. J’essaie les poignées, mais toutes les serrures sont encore barrées. Cette fois, même la E-1027 est verrouillée. Je redescends l’escalier cylindrique et retourne dans la salle de bain. Les miroirs me montrent sale et pleine de terre.
Cette fois-ci l’escalier vers le donjon est de retour. Je le descends. Je hume l’air rafraîchi de la cave qui se fait sentir depuis le haut des marches. Je me creuse une tombe en descendant l’escalier. L’air a un goût de champignons et de racines. Je connais ce lieu puisque je l’ai descendu une première fois. En temps normal, j’aurais aussi peur de ce cliché de la femme qui descend dans la cave, il appartient aussi à l’imaginaire de l’horreur répétitif. Elle se dirige droit vers le monstre. On entendra encore ses cris depuis le rez-de-chaussée, peut-être depuis l’étage. Elle trouvera dans cette cave, une petite fenêtre pour s’échapper, une fenêtre trop serrée pour son corps. Pendant qu’elle continuera de creuser, à essayer de sortir de cette brèche, le monstre sera réveillé. Elle réussira à mettre la main dehors, toucher le sol de l’autre côté, et s’avancer pour se retirer complètement, et la bête sera très proche de la fenêtre. Ses fesses sautilleront par l’embrasure et le monstre sera derrière elle. Je m’imagine toujours des scénarios de ce genre. Mais ce ne sont que des scénarios et je suis entre les murs. J’arrive à ce que je crois être le dernier sol. Revois les ruines de mon dernier songe. Ce plafond et les poutres qui le soutiennent. Il y a quelque chose ici-bas que l’on ressent comme si l’on était dans les entrailles de quelque chose. Je dirais la Terre ou l’Histoire. Mais je préfère les choses qui ne sont pas écrites par des hommes. La Terre alors. J’avance sur ce sol poussiéreux, espérant ne pas tomber plus creux. Puis je trouve cette vieille porte de bois qui s’ouvre sur quelques marches. Je traverse, et tombe sur ces deux autres portes qui s’ouvrent, cette fois-ci à l’horizontale, au-dessus de moi. Je soulève celle de droite, et me retrouve au milieu d’une cabane dont le plafond est constitué de fenêtres. C’est humide, il y a des plantes qui poussent tout autour de moi.
Soulever la porte horizontale
Rejoindre la femme aux jolis yeux
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