Ariane Lessard
2021B009
Silvia et Danaé m’ont montré l’espace de la bibliothèque en début de soirée. L’architecte et l’archéologue, avec l’autrice. Je pourrais poser des questions sur ce qu’il y a dessus et en dessous. « Des rangées de livres en plusieurs langues, la plupart, amenés par les résidentes à leurs arrivées. Une majorité d’autrices ! » Il doit y avoir une bonne vingtaine de rangées, et je suis surprise de voir autant de livres ici, quoique ravie. Le plafond haut est en voûtes, quelque chose encore, du château. Les étagères sont en bois ainsi que les tables.
J’ai perdu mes livres dans le chemin qui mène au tunnel bouché.
« J’aimerais pouvoir lire dans une autre langue que le français ou l’anglais. » Je repose un livre en allemand que j’ai pris dans une rangée devant Danaé. « Ah ! Tu en parleras à Roaa, elle enseigne l’arabe, l’anglais, le français, l’italien, l’espagnol, l’allemand et quelques langues nilo-sahariennes.
— Je ferai ça oui. »
Je replace un autre livre qui semble être écrit en hébreu. Ça ne me fait pas me sentir mieux avec ma honte de ne connaître que deux langues, et aucune des langues autochtones de mon territoire. Silvia me sort de mes pensées en me traînant vers les fenêtres, pour me montrer son projet de maquette dans le coin Nord-Ouest de la bibliothèque. Il s’agit d’une immense miniature de l’hôtel. Je remarque qu’on peut l’ouvrir, en faisant pivoter les pans.
« C’est avec ça que tu influences la géographie de l’hôtel ?
— Hahaha, tu n’en es pas encore revenue toi han. »
Silvia me tape sur l’épaule pendant que je regarde la piscine miniature et le balcon de ma chambre, qui la surplombe. À l’endroit où devrait se trouver l’aile E, au-dessus de nos balcons à la fille de la 45 et moi, je remarque des traces de colle, comme si on en avait retiré des morceaux.
*
Je reviens par le côté ouest de l’hôtel, à la fin de ma soirée passée avec elles. J’entends les murmures des nouvelles arrivées depuis la grande tente. La piscine est encore vide. Je vois les lignes de son œil, déformées depuis le rez-de-chaussée. En arrivant devant ma chambre, je remarque l’échelle accotée contre le balcon de la chambre 45. Je me décide à monter. Sa chambre est faite en symétrie de la mienne, le lit, la commode (sans les yeux), les miroirs, la table, le mini-frigo. Je ne sais pas ce qui me pousse jusque là, mais je m’aventure dans la salle de bain où j’ouvre la porte de la douche pour voir si une tuile y est posée à l’envers, comme dans la mienne. Je n’en trouve pas. En revenant face au comptoir devant l’évier, je me surprends à fouiller dans sa trousse. Elle a amené beaucoup de maquillage, des fonds de teint, recourbe-cils, plusieurs eyeshadows. Je lui emprunte un rouge à lèvres foncé. Outre les cosmétiques, son sac contient plusieurs pots de pilules. Je vois anti-androgène, estrogène, progestérone. Des éclats de rire me font sursauter et sortir de la salle de bain en vitesse jusqu’au balcon. Sous moi, je trouve la femme aux jolis yeux avec trois autres filles qui semblent complètement saoules. Deux d’entre elles sont déjà en train de se déshabiller pour sauter dans la piscine.
« Hey !
— Quoi, t’es là ? Enfin ! Je te trouve ! Je t’ai cherchée depuis ce matin, avec cette échelle ! Haha ! Bouge pas ! »
Je la regarde qui escalade les barreaux. Je l’aide à passer la rambarde, et je l’observe sans masque pour la première fois depuis notre arrivée. Elle est très grande avec des bras bien découpés, une mâchoire carrée. Ses yeux sont d’un vert presque jade et transparaissent encore plus avec sa peau foncée. Elle n’a pas de poitrine.
« Tu es trans ?
— I’m a non-binary baby. »
Puis elle s’approche de moi et m’embrasse avec sa langue. Elle goûte tous les alcools possibles. Les filles d’en bas se mettent à rire et à crier et elle se lève sur la rambarde et saute droit dans l’œil pour la deuxième fois de la journée.
Prendre un bain avec la naufragée dans la 77
Aller boire un verre avec Tamisha
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