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Aurélie William Levaux 
2021C018

En fait, avant d’entrer dans la chambre 303, Marc et Martine n’avaient pas discuté dans un bar en face de l’hôtel, mais dans un sauna. L’hôtel n’était pas un Ibis Style, mais s’appelait « Le petit nid très au bord de l’Amblève », un Spa y était accessible pour les clients. « Vêtements proscrits », était-il indiqué sur la porte menant aux douches. Martine s’était déshabillée, avait posé son sac dans un casier et s’était observée dans la glace. Ses seins pendaient, ses cuisses se remplissaient de cellulite, ses joues s’affaissaient tout comme ses fesses qu’elle avait secouées doucement. Elle se transformait en pudding et ses cours de pilates et de Yoga n’y changeaient rien, c’était terriblement décevant pour elle qui avait toujours tenu à être présentable. Elle avait poussé un long soupir désespéré, puis avait rejeté ses épaules en arrière. On s’en fout, c’est la fin du monde, avait-elle murmuré pour se donner du courage. Le ventre rentré, la démarche souple, elle avait rejoint Marc qui l’attendait devant le sauna.

***

Plusieurs personnes y étaient déjà installées, un couple d’un vingtaine d’années, à l’allure saine et sportive et un homme sans bras d’un côté et portant, de l’autre, un moignon muni d’un unique long doigt lui conférant un étrange air de E.T.. Sa tête au large front posée sur son corps frêle et pâle semblait énorme. Son visage avait une structure osseuse très balkanique. Il doit être Serbe, avait songé Martine qui adorait ça, trouver la nationalité des gens. De son unique long doigt de moignon, tenant une espèce de grosse louche en bois, avec précision, le type, les sourcils froncés, les mâchoires serrées, ne cessait de remettre de l’eau sur les pierres brûlantes. Marc avait fait mine de ne pas le remarquer. Le handicap ne l’avait jamais bien mis à l’aise. J’ai reçu ma deuxième dose hier, avait-il lancé non sans fierté en montrant son épaule rose à Martine. Ce n’est pas que j’aie peur d’attraper un rhume, tu sais comme je suis, mais je n’ai aucune envie d’être restreint dans mes libertés, j’adore boire un petit verre et me faire un resto après le boulot et j’ai réservé mes vacances All inclusive à Corfou, il est hors de question que je les annule, il avait fait, de sa voix particulièrement irritante. Martine avait grimacé malgré elle, s’était gratté une piqûre de moustique sur la cuisse et s’était allongée sur le banc en pin un étage plus bas.

***

Je me demandais à quel moment j’allais pouvoir me corriger, me relire, et explorer les voies intéressantes de ma narration. La seule piste que je me sentais en mesure d’explorer, là, était comment arriver à sortir de la zone, récupérer mon putain d’ordi et ma fille en temps voulu dans la Belgique sinistrée. Ça suffit maintenant, y en a marre, il faut que Martine meure. Il faut que Martine souffre, meure ou disparaisse pour de bon, j’avais décidé.

***

Le couple de jeunes était sorti du sauna qui devenait vraiment beaucoup trop chaud à cause du type au long doigt et de son excès de zèle. Martine observait son cinéma avec grand intérêt, ça lui évitait de réagir trop vivement à ce que Marc lui racontait. Je n’ai pas eu mal en tout cas, franchement, ça s’est bien passé, l’infirmière a bien fait ça, elle était vraiment charmante, en plus, une belle blonde qui ressemblait à Virginie Efira, enfin des yeux, parce qu’avec le masque, on ne sait jamais vraiment. Pour la troisième dose, je vais attendre un peu, mais bon, cette affaire de pass sanitaire obligatoire, là, c’est vrai que c’est excessif, a continué Marc, se sentant obligé de faire preuve d’un peu de rébellion pour plaire à Martine. Oui, enfin, si personne n’avait foncé sur le vaccin comme un troupeau de poules, l’idée d’un pass sanitaire ne serait pas arrivée, c’est la suite logique, en devançant ce qui n’était même pas imposé, ça risque d’aller de plus en plus loin dans les aberrations, avait jeté Martine, regrettant ne pas avoir été à la manif. Il avait eu un long silence tendu.

***

Isolée, physiquement isolée, rien ne me venait, ça m’angoissait, j’étais incapable d’écrire quoique ce soit, je me mettais alors à faire diverses activités fort peu créatives du type aspirer un tapis, ranger une armoire, fumer une cigarette ou lire les posts rageux d’inconnus sur les réseaux sociaux. Il n’y avait que dans le raffut que j’étais en mesure de me concentrer plus ou moins et que je trouvais matière à raconter.

***

La chaleur devenait insupportable. Il paraît que Corfou est très joli, je n’y suis jamais allé, mais on m’a dit qu’on y mangeait bien, avait tenté Marc. Pour moi, c’est incompréhensible que des personnes pourtant intelligentes et conscientes s’injectent n’importe quoi pour simplement aller faire la crêpe à Corfou, l’avait coupé Martine. Le type au moignon s’était redressé. Tiens, il a aussi une jambe plus courte que l’autre, avait songé Martine, observatrice. Le type avait lancé à Martine un regard glacial. C’est à cause de gens comme vous que le monde va mal, on devrait enfermer les réfractaires qui ne respectent pas les règles, ils devraient tous vivre dans la forêt, il avait sifflé d’une voix agressive et sans accent, le doigt très en l’air. Tiens, il est français, avait pensé Martine, surprise. Marc, suffocant et écarlate, avait toussoté et regardé ses pieds. Martine avait souri au type et évité de lui rétorquer que pour une victime de Softenon ou d’un médicament du genre, comme il semblait l’être, il ferait bien de s’intéresser un minimum aux intérêts des firmes pharmaceutiques et aux risques à encourir pour que trois connards se remplissent les poches. Vivre dans la forêt est une excellente idée, elle lui avait simplement répondu un peu mollement. Puis, suivie de Marc et de son visage maintenant faussement contrit, elle s’était levée, retournée pour saluer le type au moignon et dirigée vers le jacuzzi.

***

Tu as vu, le type au moignon avait aussi une anomalie au niveau de la verge, avait dit plus tard Marc à Martine en rentrant dans la chambre 303. Ah oui ? Je n’ai pas fait attention à ça, ce n’était peut-être pas un enfant Softénon alors, sa mère a sans doute pris de la Dépakine lorsqu’elle était enceinte, avait analysé Martine en se jetant sur le lit. Il fait terriblement dégueulasse, avait-elle remarqué en regardant par la fenêtre. Il n’a jamais plu autant, c’est inquiétant, très préoccupant. Marc lui avait jeté un regard railleur. Tu vas sans doute parler de réchauffement climatique ou de complot international ? La faute à Monsanto ou Bill Gates ? il avait ri en allumant la télé. Quelques minutes plus tard, Martine fichait Marc à la porte, appelait Eric, son mari, et lui demandait de la rejoindre dans une autre chambre, la 212.

 

Se jeter dans les bras d’Eric
Ou dans ceux de Baptiste

En fait, avant d’entrer dans la chambre 303, Marc et Martine n’avaient pas discuté dans un bar en face de l’hôtel, mais dans un sauna. L’hôtel n’était pas un Ibis Style, mais s’appelait « Le petit nid très au bord de l’Amblève », un Spa y était accessible pour les clients. « Vêtements proscrits », était-il indiqué sur la porte menant aux douches. Martine s’était déshabillée, avait posé son sac dans un casier et s’était observée dans la glace. Ses seins pendaient, ses cuisses se remplissaient de cellulite, ses joues s’affaissaient tout comme ses fesses qu’elle avait secouées doucement. Elle se transformait en pudding et ses cours de pilates et de Yoga n’y changeaient rien, c’était terriblement décevant pour elle qui avait toujours tenu à être présentable. Elle avait poussé un long soupir désespéré, puis avait rejeté ses épaules en arrière. On s’en fout, c’est la fin du monde, avait-elle murmuré pour se donner du courage. Le ventre rentré, la démarche souple, elle avait rejoint Marc qui l’attendait devant le sauna.

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Plusieurs personnes y étaient déjà installées, un couple d’un vingtaine d’années, à l’allure saine et sportive et un homme sans bras d’un côté et portant, de l’autre, un moignon muni d’un unique long doigt lui conférant un étrange air de E.T.. Sa tête au large front posée sur son corps frêle et pâle semblait énorme. Son visage avait une structure osseuse très balkanique. Il doit être Serbe, avait songé Martine qui adorait ça, trouver la nationalité des gens. De son unique long doigt de moignon, tenant une espèce de grosse louche en bois, avec précision, le type, les sourcils froncés, les mâchoires serrées, ne cessait de remettre de l’eau sur les pierres brûlantes. Marc avait fait mine de ne pas le remarquer. Le handicap ne l’avait jamais bien mis à l’aise. J’ai reçu ma deuxième dose hier, avait-il lancé non sans fierté en montrant son épaule rose à Martine. Ce n’est pas que j’aie peur d’attraper un rhume, tu sais comme je suis, mais je n’ai aucune envie d’être restreint dans mes libertés, j’adore boire un petit verre et me faire un resto après le boulot et j’ai réservé mes vacances All inclusive à Corfou, il est hors de question que je les annule, il avait fait, de sa voix particulièrement irritante. Martine avait grimacé malgré elle, s’était gratté une piqûre de moustique sur la cuisse et s’était allongée sur le banc en pin un étage plus bas.

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Je me demandais à quel moment j’allais pouvoir me corriger, me relire, et explorer les voies intéressantes de ma narration. La seule piste que je me sentais en mesure d’explorer, là, était comment arriver à sortir de la zone, récupérer mon putain d’ordi et ma fille en temps voulu dans la Belgique sinistrée. Ça suffit maintenant, y en a marre, il faut que Martine meure. Il faut que Martine souffre, meure ou disparaisse pour de bon, j’avais décidé.

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Le couple de jeunes était sorti du sauna qui devenait vraiment beaucoup trop chaud à cause du type au long doigt et de son excès de zèle. Martine observait son cinéma avec grand intérêt, ça lui évitait de réagir trop vivement à ce que Marc lui racontait. Je n’ai pas eu mal en tout cas, franchement, ça s’est bien passé, l’infirmière a bien fait ça, elle était vraiment charmante, en plus, une belle blonde qui ressemblait à Virginie Efira, enfin des yeux, parce qu’avec le masque, on ne sait jamais vraiment. Pour la troisième dose, je vais attendre un peu, mais bon, cette affaire de pass sanitaire obligatoire, là, c’est vrai que c’est excessif, a continué Marc, se sentant obligé de faire preuve d’un peu de rébellion pour plaire à Martine. Oui, enfin, si personne n’avait foncé sur le vaccin comme un troupeau de poules, l’idée d’un pass sanitaire ne serait pas arrivée, c’est la suite logique, en devançant ce qui n’était même pas imposé, ça risque d’aller de plus en plus loin dans les aberrations, avait jeté Martine, regrettant ne pas avoir été à la manif. Il avait eu un long silence tendu.

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Isolée, physiquement isolée, rien ne me venait, ça m’angoissait, j’étais incapable d’écrire quoique ce soit, je me mettais alors à faire diverses activités fort peu créatives du type aspirer un tapis, ranger une armoire, fumer une cigarette ou lire les posts rageux d’inconnus sur les réseaux sociaux. Il n’y avait que dans le raffut que j’étais en mesure de me concentrer plus ou moins et que je trouvais matière à raconter.

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La chaleur devenait insupportable. Il paraît que Corfou est très joli, je n’y suis jamais allé, mais on m’a dit qu’on y mangeait bien, avait tenté Marc. Pour moi, c’est incompréhensible que des personnes pourtant intelligentes et conscientes s’injectent n’importe quoi pour simplement aller faire la crêpe à Corfou, l’avait coupé Martine. Le type au moignon s’était redressé. Tiens, il a aussi une jambe plus courte que l’autre, avait songé Martine, observatrice. Le type avait lancé à Martine un regard glacial. C’est à cause de gens comme vous que le monde va mal, on devrait enfermer les réfractaires qui ne respectent pas les règles, ils devraient tous vivre dans la forêt, il avait sifflé d’une voix agressive et sans accent, le doigt très en l’air. Tiens, il est français, avait pensé Martine, surprise. Marc, suffocant et écarlate, avait toussoté et regardé ses pieds. Martine avait souri au type et évité de lui rétorquer que pour une victime de Softenon ou d’un médicament du genre, comme il semblait l’être, il ferait bien de s’intéresser un minimum aux intérêts des firmes pharmaceutiques et aux risques à encourir pour que trois connards se remplissent les poches. Vivre dans la forêt est une excellente idée, elle lui avait simplement répondu un peu mollement. Puis, suivie de Marc et de son visage maintenant faussement contrit, elle s’était levée, retournée pour saluer le type au moignon et dirigée vers le jacuzzi.

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Tu as vu, le type au moignon avait aussi une anomalie au niveau de la verge, avait dit plus tard Marc à Martine en rentrant dans la chambre 303. Ah oui ? Je n’ai pas fait attention à ça, ce n’était peut-être pas un enfant Softénon alors, sa mère a sans doute pris de la Dépakine lorsqu’elle était enceinte, avait analysé Martine en se jetant sur le lit. Il fait terriblement dégueulasse, avait-elle remarqué en regardant par la fenêtre. Il n’a jamais plu autant, c’est inquiétant, très préoccupant. Marc lui avait jeté un regard railleur. Tu vas sans doute parler de réchauffement climatique ou de complot international ? La faute à Monsanto ou Bill Gates ? il avait ri en allumant la télé. Quelques minutes plus tard, Martine fichait Marc à la porte, appelait Eric, son mari, et lui demandait de la rejoindre dans une autre chambre, la 212.

 

Se jeter dans les bras d’Eric
Ou dans ceux de Baptiste