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Réseau des Autrices

Résidences expérimentales

Réseau des Autrices

experimentelle Residenzen

Répondeur #2

Laurence ErmacoVa
2020A018

 

Allô ? Allô ? Il y a quelqu’un ?

Je ne sais pas par où commencer. Mais ça me brûle de parler.

….

Je voudrais hurler quelque chose, mais quand les rues sont vides, il n’y a plus personne pour écouter. C’est dans une de ces rues vides que j’ai commencé à avoir peur.

La peur n’est pas arrivée tout de suite. J’ai eu un long temps de latence, je ne me suis pas méfiée. Mais maintenant, elle est là. Partout. Tout le temps. En moi. Je n’arrive même plus à la décrire.

Pourtant, j’ai aimé les rues vides du mois d’avril. Les magasins fermés dans la Hermannstrasse, la beauté du printemps sans les voitures, le ciel bleu sans les tracés blancs des avions. J’ai rêvé d’un monde nouveau. Plus beau, plus clair, plus limpide. Je n’ai pas eu peur du virus. J’ai mis des fleurs dans mes cheveux et je suis sortie dans la rue. J’ai bravé la police, j’ai crié contre tout le système coercitif.

J’étais persuadée que le virus ne m’atteindrait pas, que ni la maladie, ni la peur ne pourraient m’atteindre. Je n’ai pas fait attention. Maintenant, je n’ose plus sortir de ma chambre. Je n’appelle plus personne. J’imagine à longueur de journée tous les gens que j’ai peut-être contaminés. Et j’ai peur.

Tout l’été, j’ai dansé dans le parc de Hasenheide. Du fond de la nuit jusqu’au lever du jour, j’ai touché des corps, je me suis enivrée d’eux.  J’ai baisé dans l’obscurité de rave parties illégales. J’ai été arrêtée, j’ai été sermonnée, j’ai payé des amendes et j’y suis retournée. Tous les soirs, mon corps a tremblé de plaisir dans les prairies nocturnes de Hasenheide. J’ai vibré avec le monde, nuit après nuit. Et maintenant, je n’ose pas le dire.

Je ne suis pas tombée malade. Ce n’est pas de ça que je veux parler. Ça ne m’intéresse pas. C’est pas ça qui me fait peur. Ce n’est pas ma vie qui est en jeu, mais toutes nos rues vides et tous ces gens qui tremblent chez eux, par peur d’être touchés, contaminés.

Je ne voulais pas transmettre le virus. J’en suis désolée, si je l’ai fait. Je m’en excuse même si je sais que mes excuses sont irrecevables. Mon plaisir était plus important que tout. Je n’ai pas réfléchi et à cause de moi le monde est en train de devenir une prairie vide.

C’est l’automne, je ne danse plus, je ne mets plus de fleurs dans mes cheveux. Et je ne sais pas combien de temps cela va durer et j’ai peur de tout.

Répondeur #2

Laurence ErmacoVa
020A018

 

Allô ? Allô ? Il y a quelqu’un ?

Je ne sais pas par où commencer. Mais ça me brûle de parler.

….

Je voudrais hurler quelque chose, mais quand les rues sont vides, il n’y a plus personne pour écouter. C’est dans une de ces rues vides que j’ai commencé à avoir peur.

La peur n’est pas arrivée tout de suite. J’ai eu un long temps de latence, je ne me suis pas méfiée. Mais maintenant, elle est là. Partout. Tout le temps. En moi. Je n’arrive même plus à la décrire.

Pourtant, j’ai aimé les rues vides du mois d’avril. Les magasins fermés dans la Hermannstrasse, la beauté du printemps sans les voitures, le ciel bleu sans les tracés blancs des avions. J’ai rêvé d’un monde nouveau. Plus beau, plus clair, plus limpide. Je n’ai pas eu peur du virus. J’ai mis des fleurs dans mes cheveux et je suis sortie dans la rue. J’ai bravé la police, j’ai crié contre tout le système coercitif.

J’étais persuadée que le virus ne m’atteindrait pas, que ni la maladie, ni la peur ne pourraient m’atteindre. Je n’ai pas fait attention. Maintenant, je n’ose plus sortir de ma chambre. Je n’appelle plus personne. J’imagine à longueur de journée tous les gens que j’ai peut-être contaminés. Et j’ai peur.

Tout l’été, j’ai dansé dans le parc de Hasenheide. Du fond de la nuit jusqu’au lever du jour, j’ai touché des corps, je me suis enivrée d’eux.  J’ai baisé dans l’obscurité de rave parties illégales. J’ai été arrêtée, j’ai été sermonnée, j’ai payé des amendes et j’y suis retournée. Tous les soirs, mon corps a tremblé de plaisir dans les prairies nocturnes de Hasenheide. J’ai vibré avec le monde, nuit après nuit. Et maintenant, je n’ose pas le dire.

Je ne suis pas tombée malade. Ce n’est pas de ça que je veux parler. Ça ne m’intéresse pas. C’est pas ça qui me fait peur. Ce n’est pas ma vie qui est en jeu, mais toutes nos rues vides et tous ces gens qui tremblent chez eux, par peur d’être touchés, contaminés.

Je ne voulais pas transmettre le virus. J’en suis désolée, si je l’ai fait. Je m’en excuse même si je sais que mes excuses sont irrecevables. Mon plaisir était plus important que tout. Je n’ai pas réfléchi et à cause de moi le monde est en train de devenir une prairie vide.

C’est l’automne, je ne danse plus, je ne mets plus de fleurs dans mes cheveux. Et je ne sais pas combien de temps cela va durer et j’ai peur de tout.