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Réseau des Autrices

Résidences expérimentales

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Elise et la chambre 44

Marie Manchon
2020A029

 

Avec mon père et ma mère, on vient tous les étés passer des vacances à l’Hôtel.

Chaque année quelqu’un me demande où c’est, et chaque année, j’oublie. En général, les gens me disent aussi en se penchant vers moi : « Mais enfin, tu sais bien dans quel coin c’est, quand même, une grande fille comme toi ! » Rien à faire, je suis totalement incapable de m’en souvenir, et pour tout dire je m’en fiche complètement. Si on me demandait pourquoi j’aime y aller, là, je pourrais répondre.

Je dirais que j’adore la piscine avec les palmiers et la lavande autour. Il y aussi des fleurs roses sur une grande plante qui est presque un arbre, dont Maman me répète régulièrement le nom. Comme si c’était important. Elles ne sentent rien de toute façon, ces fleurs. C’est vraiment bizarre, les fleurs qui ne sentent rien. On se demande pourquoi on les a choisies. « Parce que c’est beau », dit Maman. Franchement, je m’en fiche bien que ce soit seulement joli. Sans parfum, pour moi, c’est comme si elles étaient fausses. Comme des fleurs en plastique. Moi, ce que j’aime, c’est mettre tout mon nez dans une fleur. L’odeur rentre dans mes narines, dans ma tête et dans ma poitrine. C’est chaud, ça coule en moi comme du chocolat fondu. À la maison, Maman met des gouttes de lavande sur mon oreiller parce que j’ai du mal à dormir. Bon. Ce n’est pas vraiment vrai. En fait, une fois j’ai fait un cauchemar, et Maman m’a tellement bien dorlotée que depuis, je fais un peu semblant de mal dormir.

En parlant de parfum, la piscine sent énormément le chlore. Je déteste. Pas la piscine, bien sûr, le chlore seulement. J’ai l’impression de me baigner dans du produit désinfectant. Du coup, quand je sors, je me sens plus blanche que blanche, super hyper propre. Plus une seule bactérie ne reste, ni sur ma peau, ni dans mon nez, ni dans ma gorge, d’ailleurs, avec toute l’eau que j’avale en plongeant. Je ne sais toujours pas comment ça se fait que je tombe malade quand même. L’année dernière, j’ai attrapé une gastro. Comment c’est possible, étant donné que j’étais entièrement désinfectée ? C’est bien la preuve que ça ne sert à rien de nous polluer les vacances avec des produits chimiques complètement inutiles.

Bref, cette année on y retourne, et je saute de joie. Pour de vrai. Je saute dans toute la maison, je cours à fond la caisse, je fais tomber le linge bien plié et un cadre qui n’intéresse personne, sauf Maman. Pourtant, c’est une photo de quand j’étais bébé sur laquelle je ne suis pas trop mignonne. J’y suis toute rouge comme si j’avais cuit au four, les yeux plissés, un filet blanc sur la tête et un espèce de grumeau jaune sur la peau. Vraiment, ce n’est pas terrible. Heureusement, il y a une autre photo de moi beaucoup plus jolie. C’est ma photo de classe. J’ai mis ma plus belle barrette, que Maman d’ailleurs n’aime pas trop. On voit bien qu’elle est vieille, elle n’a aucun goût. À l’écouter, il faudrait que je m’habille en gris comme les enfants sur les cartes postales anciennes, avec un gros nœud blanc dans les cheveux, ou pire, deux longues tresses de chaque côté et un tablier. Quelle horreur. Dieu merci, maintenant, on trouve de très jolies barrettes avec  des couleurs cools, des diamants qui sont presque vrais, ou alors des formes trop marrantes, comme celle que j’ai avec des hamburgers.

On arrive donc à l’hôtel en voiture. Mon père se gare au parking. Thierry, le bagagiste, s’approche de la voiture et ma mère se précipite dehors pour lui dire bonjour. Elle parle en se passant les mains dans les cheveux et rit un peu fort. Elle le trouve beau, ça se voit. Il a des yeux noirs et des cheveux bouclés tout à fait quelconques à mon avis. Par contre, je le trouve très grand. Il est tellement grand que pour me parler il doit presque se plier en deux. Il marche comme au ralenti, légèrement voûté, ses grandes jambes et des longs bras se balançant lentement d’un côté et de l’autre.
Il récupère les valises dans le coffre. C’est un de mes moments préférés. Je me retiens de dire : «  Edgard, vous porterez tout ceci dans ma chambre », non seulement parce que mes parents me feraient la leçon, mais aussi parce que Thierry, qui me connaît depuis que je suis toute petite, m’enverrait brûler en enfer. J’ai déjà essayé et je m’en souviens encore. N’empêche que j’adore qu’on porte mes bagages. J’essaye avec Maman quand elle vient me chercher à la sortie de l’école, et ça marche assez souvent.

Mon père nous passe tous devant et entre dans l’hôtel en premier. On dirait qu’il a gagné au loto. Il est tellement joyeux que ça me gêne. Il parle presque en criant au réceptionniste : « Bonjour Monsieur Philibert ! Comment allez-vous ! ». Quand il est comme ça, il raconte sa vie, et moi je me cache derrière lui en tirant sa chemise pour qu’il arrête. Tout le monde voit qu’il est beaucoup trop excité. On dirait moi à mon anniversaire. Enfin, il dit, ou plutôt il proclame : « Et bien, donnez-nous nos chambres habituelles, la 44 et la 45. » Et là, coup de théâtre, pour la première fois depuis que je suis née, monsieur Philibert lui répond : «  À ce propos, nous avons donné la 44 à une personne âgée, à cause de la douche à l’italienne. On a pensé que ça ne dérangerait pas la petite d’aller dans la 46. Nous sommes complets et c’est notre dernière cliente à être arrivée. Il y a une petite marche à monter dans la douche de la 46, vous comprenez ? Et cette grande fille n’aura pas de mal à grimper dedans. Cela ne vous dérange pas ? » Deuxième coup de théâtre, mon père répond qu’il n’y a aucun problème bien entendu tant que nous avons la 45 qui est un peu notre deuxième chez-nous.
Quoi ? Mais si, c’est très grave. D’abord, c’est ma chambre depuis toujours. Ensuite, on a vue sur la piscine, c’est génial parce qu’en parlant d’une voix bien forte, on peut discuter avec les gens qui sont en bas. Le matin, dès que je suis levée, je jette mon sac de plage par la fenêtre, et en visant bien, il atterrit pile sur le transat en dessous. Des fois ça marche, des fois ça ne marche pas. Mais comme dirait ma mère : « rien de tel que de se faire sa propre expérience ». Pour être honnête, en général elle dit ça sur un ton énervé, quand je ne veux pas mettre mon manteau et qu’il pleut.

L’autre chambre est sur le côté de l’hôtel, on voit le parking et un bout du jardin. Je sais très bien, j’ai déjà regardé par la fenêtre quand nos voisins sortaient de leur chambre. J’adore regarder dans les chambres des autres. Une fois, je l’ai fait. Je suis rentrée dans une des chambres. Tout le monde était à la piscine. J’ai tourné la poignée et la porte s’est ouverte. Je suis entrée en regardant partout comme une agente secrète et j’ai fait un petit tour. Bon. Non seulement il n’y avait rien d’intéressant à voir, mais en plus j’avais le cœur qui battait tellement que j’ai failli m’évanouir, alors je suis très vite sortie. Mais je l’ai fait, héhéhé.
Mes parents papotent joyeusement avec le réceptionniste tandis que moi je vois mes vacances partir en morceaux. Mon nez picote, mes yeux se mouillent. Je me sens embrouillée, bouillante, bleue éclair, rouge foncée. Et puis ça sort de moi comme une avalanche :

« Mais c’est ma chambre, c’est mon seul plaisir.  Vous voulez que je passe des vacances pourries, c’est ça ? Déjà, je dois travailler toute l’année à l’école, alors que je suis juste une enfant ! Une enfant ! je suis sage, je range ma chambre et je vous obéis tout le temps, et voilà, ma récompense, une chambre pourrie sur le côté !  »
Maintenant je suis en colère pour de bon. Je suis une reine furieuse, une impératrice qui veut couper la tête à tout le monde.
Pour finir, je prends ma valise et je me dirige vers la porte d’entrée de l’hôtel : « Je rentre ! Ça sert à rien. J’irai pas me baigner, j’ai plus envie. Allez-y, amusez-vous, vous vous en fichez bien de moi ! De toute façon, je suis rien pour vous. Vous préférez vos ordis, votre travail. Je suis votre seule fille, et vous ne m’aimez pas. »
Et là, je voudrais bien claquer la porte mais elle est bloquée. Tant pis, je continue mon chemin avec toute la rage dont je suis capable.
Monsieur Philibert est tout gêné, s’excuse auprès de mes parents, cherche une solution. J’entends mon père rire et s’exclamer : « Mais quel caractère ! » et ma mère, qui lui a sans doute donné un coup dans les côtes en fronçant les sourcils, le gronder.  Puis j’entends au loin : « Elise ! Tu reviens quand tu es plus calme, et on en reparle. » Devant tant d’incompréhension, je décide de ne pas répondre et de m’en aller aussi loin que possible.
Je croise sur mon chemin le regard de Thierry le bagagiste et je comprends que si j’étais sa fille, il me jetterait toute habillée dans la piscine, chaussures et valise comprises après m’avoir fait faire quelques tours avec son bras comme les lanceurs de poids.
Je me cale entre la haie qui fait le tour du parking et la voiture familiale.
Je vois  de loin une vieille dame discuter avec le directeur et mes parents. Sûrement la vieille mémé qui veut me prendre ma chambre. Elle n’est pas si vieille franchement, elle pourrait monter une petite marche !
Tout à coup, j’entends une grosse voix derrière le buisson : « Tu es vraiment bête de faire autant de bruit. »
Je sursaute. Deux yeux noirs, une barbe. Mince. Thierry.
Je mets mes mains sur les oreilles, détourne la tête et boude de tout mon être.
« Oui, tu es bien bête, parce que la chambre 46 a un secret que je pourrais te révéler si tu n’étais pas une tête de mule bornée. » Hein ? Je bondis : « Je ne suis pas une tête de mule bornée et je ne suis pas bête ! »
« Ah, tu sais parler, c’est bien », dit Thierry. Flûte, je me suis faite avoir. Je réfléchis. Est-ce que je dois  continuer de me vexer ou est-ce que lui demande, pour le secret.
Je tente quelque chose qui me permettra à la fois de bien montrer que je suis en colère, et aussi d’obtenir  une réponse : « Je suis sûre qu’il est nul ton secret. De toute façon, tout est nul dans cet hôtel. »
«  Évidemment, si tu considères qu’une cachette-secrète est nulle, alors, c’est mieux que tu rentres chez toi en effet, allez ciao. » Il s’en va.
Je suis scotchée.
Mon esprit tourne à cent à l’heure. Elle est où, cette cachette, derrière un tableau ? Sous le plancher ? Dans l’armoire, peut-être ? Dans ma tête vole ce qu’elle pourrait contenir et ce que je pourrais y mettre.
Finalement, je décide d’oublier que je suis fâchée et je lui cours après : « Thierry ! Elle est où cette cachette ? Elle est grande ? Il y a des choses dedans ? De l’argent ? Des messages ? »
«  Je ne peux révéler ce secret qu’aux habitants de la chambre 46 », me répond-il.
Ah, le traître. Je cogite. Pas longtemps. Je suis tellement rongée par la curiosité que je me précipite vers l’hôtel et manque de bousculer la vieille. La vieille dame, pardon.
« Bonjour madame, je me suis très mal comportée, j’ai arrêté, regardez, je suis gentille. Excusez-moi, c’est très mal. Vous verrez, elle est super, la chambre 44 et bon, je suis grande, je peux très bien vous la laisser, ça ne me fait rien. » Tout le monde me regarde, interloqué. Mes parents me dévisagent en essayant de comprendre où est le loup. Mais moi, je continue sur ma lancée. Je suis charmante. J’aide même Thierry à monter les bagages de la mémé.
Je rentre enfin dans ma nouvelle chambre et je ferme le verrou.

Vous voudriez bien savoir pour la cachette, hein ?
Et ben, vous pouvez toujours rêver. Maintenant c’est ma chambre rien qu’à moi, et vous n’êtes pas près de l’avoir parce que j’ai décidé d’y rester et de ne pas retourner à l’école. De toute façon, à l’école, on n’apprend que des choses qui ne servent à rien, et en plus, je peux très bien apprendre toute seule.

Elise et la chambre 44

Marie Manchon
020A029

 

Avec mon père et ma mère, on vient tous les étés passer des vacances à l’Hôtel.

Chaque année quelqu’un me demande où c’est, et chaque année, j’oublie. En général, les gens me disent aussi en se penchant vers moi : « Mais enfin, tu sais bien dans quel coin c’est, quand même, une grande fille comme toi ! » Rien à faire, je suis totalement incapable de m’en souvenir, et pour tout dire je m’en fiche complètement. Si on me demandait pourquoi j’aime y aller, là, je pourrais répondre.

Je dirais que j’adore la piscine avec les palmiers et la lavande autour. Il y aussi des fleurs roses sur une grande plante qui est presque un arbre, dont Maman me répète régulièrement le nom. Comme si c’était important. Elles ne sentent rien de toute façon, ces fleurs. C’est vraiment bizarre, les fleurs qui ne sentent rien. On se demande pourquoi on les a choisies. « Parce que c’est beau », dit Maman. Franchement, je m’en fiche bien que ce soit seulement joli. Sans parfum, pour moi, c’est comme si elles étaient fausses. Comme des fleurs en plastique. Moi, ce que j’aime, c’est mettre tout mon nez dans une fleur. L’odeur rentre dans mes narines, dans ma tête et dans ma poitrine. C’est chaud, ça coule en moi comme du chocolat fondu. À la maison, Maman met des gouttes de lavande sur mon oreiller parce que j’ai du mal à dormir. Bon. Ce n’est pas vraiment vrai. En fait, une fois j’ai fait un cauchemar, et Maman m’a tellement bien dorlotée que depuis, je fais un peu semblant de mal dormir.

En parlant de parfum, la piscine sent énormément le chlore. Je déteste. Pas la piscine, bien sûr, le chlore seulement. J’ai l’impression de me baigner dans du produit désinfectant. Du coup, quand je sors, je me sens plus blanche que blanche, super hyper propre. Plus une seule bactérie ne reste, ni sur ma peau, ni dans mon nez, ni dans ma gorge, d’ailleurs, avec toute l’eau que j’avale en plongeant. Je ne sais toujours pas comment ça se fait que je tombe malade quand même. L’année dernière, j’ai attrapé une gastro. Comment c’est possible, étant donné que j’étais entièrement désinfectée ? C’est bien la preuve que ça ne sert à rien de nous polluer les vacances avec des produits chimiques complètement inutiles.

Bref, cette année on y retourne, et je saute de joie. Pour de vrai. Je saute dans toute la maison, je cours à fond la caisse, je fais tomber le linge bien plié et un cadre qui n’intéresse personne, sauf Maman. Pourtant, c’est une photo de quand j’étais bébé sur laquelle je ne suis pas trop mignonne. J’y suis toute rouge comme si j’avais cuit au four, les yeux plissés, un filet blanc sur la tête et un espèce de grumeau jaune sur la peau. Vraiment, ce n’est pas terrible. Heureusement, il y a une autre photo de moi beaucoup plus jolie. C’est ma photo de classe. J’ai mis ma plus belle barrette, que Maman d’ailleurs n’aime pas trop. On voit bien qu’elle est vieille, elle n’a aucun goût. À l’écouter, il faudrait que je m’habille en gris comme les enfants sur les cartes postales anciennes, avec un gros nœud blanc dans les cheveux, ou pire, deux longues tresses de chaque côté et un tablier. Quelle horreur. Dieu merci, maintenant, on trouve de très jolies barrettes avec  des couleurs cools, des diamants qui sont presque vrais, ou alors des formes trop marrantes, comme celle que j’ai avec des hamburgers.

On arrive donc à l’hôtel en voiture. Mon père se gare au parking. Thierry, le bagagiste, s’approche de la voiture et ma mère se précipite dehors pour lui dire bonjour. Elle parle en se passant les mains dans les cheveux et rit un peu fort. Elle le trouve beau, ça se voit. Il a des yeux noirs et des cheveux bouclés tout à fait quelconques à mon avis. Par contre, je le trouve très grand. Il est tellement grand que pour me parler il doit presque se plier en deux. Il marche comme au ralenti, légèrement voûté, ses grandes jambes et des longs bras se balançant lentement d’un côté et de l’autre.
Il récupère les valises dans le coffre. C’est un de mes moments préférés. Je me retiens de dire : «  Edgard, vous porterez tout ceci dans ma chambre », non seulement parce que mes parents me feraient la leçon, mais aussi parce que Thierry, qui me connaît depuis que je suis toute petite, m’enverrait brûler en enfer. J’ai déjà essayé et je m’en souviens encore. N’empêche que j’adore qu’on porte mes bagages. J’essaye avec Maman quand elle vient me chercher à la sortie de l’école, et ça marche assez souvent.

Mon père nous passe tous devant et entre dans l’hôtel en premier. On dirait qu’il a gagné au loto. Il est tellement joyeux que ça me gêne. Il parle presque en criant au réceptionniste : « Bonjour Monsieur Philibert ! Comment allez-vous ! ». Quand il est comme ça, il raconte sa vie, et moi je me cache derrière lui en tirant sa chemise pour qu’il arrête. Tout le monde voit qu’il est beaucoup trop excité. On dirait moi à mon anniversaire. Enfin, il dit, ou plutôt il proclame : « Et bien, donnez-nous nos chambres habituelles, la 44 et la 45. » Et là, coup de théâtre, pour la première fois depuis que je suis née, monsieur Philibert lui répond : «  À ce propos, nous avons donné la 44 à une personne âgée, à cause de la douche à l’italienne. On a pensé que ça ne dérangerait pas la petite d’aller dans la 46. Nous sommes complets et c’est notre dernière cliente à être arrivée. Il y a une petite marche à monter dans la douche de la 46, vous comprenez ? Et cette grande fille n’aura pas de mal à grimper dedans. Cela ne vous dérange pas ? » Deuxième coup de théâtre, mon père répond qu’il n’y a aucun problème bien entendu tant que nous avons la 45 qui est un peu notre deuxième chez-nous.
Quoi ? Mais si, c’est très grave. D’abord, c’est ma chambre depuis toujours. Ensuite, on a vue sur la piscine, c’est génial parce qu’en parlant d’une voix bien forte, on peut discuter avec les gens qui sont en bas. Le matin, dès que je suis levée, je jette mon sac de plage par la fenêtre, et en visant bien, il atterrit pile sur le transat en dessous. Des fois ça marche, des fois ça ne marche pas. Mais comme dirait ma mère : « rien de tel que de se faire sa propre expérience ». Pour être honnête, en général elle dit ça sur un ton énervé, quand je ne veux pas mettre mon manteau et qu’il pleut.

L’autre chambre est sur le côté de l’hôtel, on voit le parking et un bout du jardin. Je sais très bien, j’ai déjà regardé par la fenêtre quand nos voisins sortaient de leur chambre. J’adore regarder dans les chambres des autres. Une fois, je l’ai fait. Je suis rentrée dans une des chambres. Tout le monde était à la piscine. J’ai tourné la poignée et la porte s’est ouverte. Je suis entrée en regardant partout comme une agente secrète et j’ai fait un petit tour. Bon. Non seulement il n’y avait rien d’intéressant à voir, mais en plus j’avais le cœur qui battait tellement que j’ai failli m’évanouir, alors je suis très vite sortie. Mais je l’ai fait, héhéhé.
Mes parents papotent joyeusement avec le réceptionniste tandis que moi je vois mes vacances partir en morceaux. Mon nez picote, mes yeux se mouillent. Je me sens embrouillée, bouillante, bleue éclair, rouge foncée. Et puis ça sort de moi comme une avalanche :

« Mais c’est ma chambre, c’est mon seul plaisir.  Vous voulez que je passe des vacances pourries, c’est ça ? Déjà, je dois travailler toute l’année à l’école, alors que je suis juste une enfant ! Une enfant ! je suis sage, je range ma chambre et je vous obéis tout le temps, et voilà, ma récompense, une chambre pourrie sur le côté !  »
Maintenant je suis en colère pour de bon. Je suis une reine furieuse, une impératrice qui veut couper la tête à tout le monde.
Pour finir, je prends ma valise et je me dirige vers la porte d’entrée de l’hôtel : « Je rentre ! Ça sert à rien. J’irai pas me baigner, j’ai plus envie. Allez-y, amusez-vous, vous vous en fichez bien de moi ! De toute façon, je suis rien pour vous. Vous préférez vos ordis, votre travail. Je suis votre seule fille, et vous ne m’aimez pas. »
Et là, je voudrais bien claquer la porte mais elle est bloquée. Tant pis, je continue mon chemin avec toute la rage dont je suis capable.
Monsieur Philibert est tout gêné, s’excuse auprès de mes parents, cherche une solution. J’entends mon père rire et s’exclamer : « Mais quel caractère ! » et ma mère, qui lui a sans doute donné un coup dans les côtes en fronçant les sourcils, le gronder.  Puis j’entends au loin : « Elise ! Tu reviens quand tu es plus calme, et on en reparle. » Devant tant d’incompréhension, je décide de ne pas répondre et de m’en aller aussi loin que possible.
Je croise sur mon chemin le regard de Thierry le bagagiste et je comprends que si j’étais sa fille, il me jetterait toute habillée dans la piscine, chaussures et valise comprises après m’avoir fait faire quelques tours avec son bras comme les lanceurs de poids.
Je me cale entre la haie qui fait le tour du parking et la voiture familiale.
Je vois  de loin une vieille dame discuter avec le directeur et mes parents. Sûrement la vieille mémé qui veut me prendre ma chambre. Elle n’est pas si vieille franchement, elle pourrait monter une petite marche !
Tout à coup, j’entends une grosse voix derrière le buisson : « Tu es vraiment bête de faire autant de bruit. »
Je sursaute. Deux yeux noirs, une barbe. Mince. Thierry.
Je mets mes mains sur les oreilles, détourne la tête et boude de tout mon être.
« Oui, tu es bien bête, parce que la chambre 46 a un secret que je pourrais te révéler si tu n’étais pas une tête de mule bornée. » Hein ? Je bondis : « Je ne suis pas une tête de mule bornée et je ne suis pas bête ! »
« Ah, tu sais parler, c’est bien », dit Thierry. Flûte, je me suis faite avoir. Je réfléchis. Est-ce que je dois  continuer de me vexer ou est-ce que lui demande, pour le secret.
Je tente quelque chose qui me permettra à la fois de bien montrer que je suis en colère, et aussi d’obtenir  une réponse : « Je suis sûre qu’il est nul ton secret. De toute façon, tout est nul dans cet hôtel. »
«  Évidemment, si tu considères qu’une cachette-secrète est nulle, alors, c’est mieux que tu rentres chez toi en effet, allez ciao. » Il s’en va.
Je suis scotchée.
Mon esprit tourne à cent à l’heure. Elle est où, cette cachette, derrière un tableau ? Sous le plancher ? Dans l’armoire, peut-être ? Dans ma tête vole ce qu’elle pourrait contenir et ce que je pourrais y mettre.
Finalement, je décide d’oublier que je suis fâchée et je lui cours après : « Thierry ! Elle est où cette cachette ? Elle est grande ? Il y a des choses dedans ? De l’argent ? Des messages ? »
«  Je ne peux révéler ce secret qu’aux habitants de la chambre 46 », me répond-il.
Ah, le traître. Je cogite. Pas longtemps. Je suis tellement rongée par la curiosité que je me précipite vers l’hôtel et manque de bousculer la vieille. La vieille dame, pardon.
« Bonjour madame, je me suis très mal comportée, j’ai arrêté, regardez, je suis gentille. Excusez-moi, c’est très mal. Vous verrez, elle est super, la chambre 44 et bon, je suis grande, je peux très bien vous la laisser, ça ne me fait rien. » Tout le monde me regarde, interloqué. Mes parents me dévisagent en essayant de comprendre où est le loup. Mais moi, je continue sur ma lancée. Je suis charmante. J’aide même Thierry à monter les bagages de la mémé.
Je rentre enfin dans ma nouvelle chambre et je ferme le verrou.

Vous voudriez bien savoir pour la cachette, hein ?
Et ben, vous pouvez toujours rêver. Maintenant c’est ma chambre rien qu’à moi, et vous n’êtes pas près de l’avoir parce que j’ai décidé d’y rester et de ne pas retourner à l’école. De toute façon, à l’école, on n’apprend que des choses qui ne servent à rien, et en plus, je peux très bien apprendre toute seule.