Autrice: Ana Cazor
Je t’en foutrais moi, des femmes suspendues… Madame Kora ! Veuillez descendre s’il-vous-plaît ! On n’est pas assuré contre les chutes de mygales !
Monsieur Henri, mort empoisonné, pas très sweet, Amanite —
un comble pour un mycologue ! Certains pensent qu’il s’est suicidé.
Au menu, il n’y aura plus de champignons.
Et le patio au chêne remarquable qui porte son nom —
erreur mortifère ou acte héroïque.
Dans un coin, attablée seule au fond de la salle, la psy de l’hôtel a l’air bien fatiguée. Devant elle, posée sur la table, sa pancarte : « Je suis la cellule psychologique » et à côté, une bouteille de Bourbon pas très bon marché qu’elle descend consciencieusement en éternuant. Elle n’a pas de verre.
J’ouvre les yeux, mes paupières s’épaississent.
Je réalise : ça ne peut pas être fini.
La mort, la seule fin possible…
J’erre dans ce corps de femme,
Mes seins tombent, je les rattrape.
Pour un soir, changer de perspective,
Tenter dans ce hall hanté « le tout pour le tout ».
Le temps d’une soirée.
Il est temps de partir. Je ne suis même pas fichu d’en faire un portrait-robot. Je n’ai pas retrouvé le rocher derrière lequel elle, suspendue, regardait l’Océan. Si ça se trouve, c’était une butte.
La psy n’est pas là, suspicion de covid. Le rendez-vous n’a pas été annulé. J’entre dans la chambre 1012. Contre les murs de la pièce, une planche clouée fait le tour. Sur une étiquette en papier, Eliane Chanton a écrit de sa main : « Patient de la chambre 708 ». Le reste ne m’intéresse pas, c’est là que je vais.
On a trouvé une poupée vaudou dans le placard de la 708. Si c’est vous, je vous poursuivrai pour magie noire. C’est dans le règlement, à l’article 11 : « La magie noire est interdite dans l’enceinte de l’hôtel. » On a une psy à demeure. Vous devriez consulter.
À marcher près d’Irène comme ça, j’imagine l’impensée, une vie à deux. Seul, je n’existe pour personne. Elle ne m’attire en aucun cas. Mes sens pensent à Tati Nana, mais celle que je cherche, c’est encore et toujours elle, la femme suspendue…
Le haut de son corps,
Depuis ses reins jusqu’au-dessus de son crâne
Dépasse de la butte, un tas de sable,
Je ne sais pas ce que c’est.
Irène devant la porte de l’hôtel en train de fumer toute la matinée, ça fait négligé. Elle tourne en rond en traînant des pieds, ça fait des cercles sur le gravier.
Tous les jours je vais aux champignons, par tous les temps! Je sais y faire,
j'ai appris à les repérer. C'est qu'il faut s'y connaître! Sans me vanter j'ai un
bon flair, je les repère même sans regarder.
C’est avec le sentiment du devoir et par solidarité avec ses proches que nous tenons à contribuer à la recherche de la femme suspendue. Au-delà de cet acte de pure générosité, la direction de votre hôtel tient à exprimer sa solidarité avec toutes les femmes errantes et qui se sont, à un moment ou à un autre, égarées dans leur vie. On a beau être une entreprise lucrative, cela ne nous empêche pas d’avoir un cœur.
Le carrelage vert de sable aux grains doux râpe la forme de mes pieds, sculpte un à un chacun de mes orteils. Je pourrais marcher sur la lande comme ça pour une éternité… Mais déjà l’eau de la douche se fracasse violemment sur ma peau et je rougeoie sous le ciel, des éclairs du sol au plafond, orage d’été, impossible à régler, la température de l’eau est glacée.
Les gens sont là,
Ils pourraient y être pour toujours
Et puis d’un coup, ils n’y sont plus.
Un jour ou le lendemain,
Ils disparaissent.
C’est révoltant.
Je marche beaucoup mieux avec mes sandales de guerrière.
Je mettrai des chaussettes pour l’hiver,
Un peu comme si j’étais allemand.
Je devrais peut-être pousser jusqu’à l’Océan ?
Mais ce matin, c’est pour moi un peu trop grand.
Comme elle fatigue Irène,
Ça la réveille la nuit,
Elle ne sort plus avec les copines
Ni même avec Jean-Louis.
LE PLAFONNIER EST CASSÉ
IL N’Y A PAS DE TÉLÉPHONE
UN POSTER DE L’OCÉAN ABIMÉ, PAS ACCROCHÉ
POSÉ NÉGLIGEMMENT À MÊME LE SOL,
LE MÉNAGE N’A PAS ÉTÉ FAIT
IL Y A UNE VILAINE TACHE SUR LA MOQUETTE
UN COFFRE FERMÉ À CLEF,
MAIS PAS DE CLEF
Du point de vue anté-post-hypermoderne, il y a dans toutes les familles, une tante qui a raté sa vie. Aujourd’hui encore, ça peut arriver, question de destin individuel.
Je ne dis pas que je laisse indifférent non, je ne dirais pas ça, mais j’ai l’âme ridée par plus de cent millions d’années d’une quête désespérée.
Il y a peut-être un distributeur de boissons avec des sucreries dedans. Un jour, dans un distributeur comme ça, j’ai vu une pomme.
Quartier colline surplombant la ville,
Quartier vallonné avec ses terrasses bondées.
Je marche seul et c’est vain.
Plus tard dans la nuit, à quatre heures trente du matin j’aurai vraiment faim, de ces faims qui vous trouent le ventre, pas juste l’estomac, de celles qui remontent par l’œsophage pour finir par vous grignoter le cerveau, de ces faims qui peuvent rendre fou.
Rideau du soir qui s’affaisse brutalement sur la fenêtre de mon arrivée – point de départ.
Je voudrais vider mon sac, me mettre en quête, m’installer, sortir, trouver des indices, interroger, rencontrer, manger, boire, me doucher, baiser ?
La chambre sent le rance, mais elle a une grande fenêtre.
La poussière n’a pas été faite depuis un moment, même moi je le vois.
Il y a une vilaine tache sur la moquette, juste là, au pied du lit.
Ça y est, je suis installé dans la chambre 708.
Ça n’a pas été une mince affaire.
Je suis venu dans cet hôtel pour cette chambre-là.
Je ne suis pas venu que pour ça.
À quoi elle tenait cette femme-là, pour être si bien suspendue que ça ? À quoi elle tenait, je ne sais pas.
La nuit est mauve et je ne dors pas, j’ai oublié la douceur.
Chambre sur rue… Je n’en voulais pas.