Lieux: Chambres
Je t’en foutrais moi, des femmes suspendues… Madame Kora ! Veuillez descendre s’il-vous-plaît ! On n’est pas assuré contre les chutes de mygales !
Monsieur Henri, mort empoisonné, pas très sweet, Amanite —
un comble pour un mycologue ! Certains pensent qu’il s’est suicidé.
Au menu, il n’y aura plus de champignons.
Et le patio au chêne remarquable qui porte son nom —
erreur mortifère ou acte héroïque.
Dans un coin, attablée seule au fond de la salle, la psy de l’hôtel a l’air bien fatiguée. Devant elle, posée sur la table, sa pancarte : « Je suis la cellule psychologique » et à côté, une bouteille de Bourbon pas très bon marché qu’elle descend consciencieusement en éternuant. Elle n’a pas de verre.
Dans la tête de Magda défilent les images de leur enfance à Porthof, la grande maison acquise par leurs arrières grands-parents dans les plaines du sud de Posen, les mémorables parties de chasse dans les bois alentour, les réunions de famille avec toutes les générations Wolfsmann, la fête des vendanges à la fin de l’été. Quelque chose dans ce bel établissement aux portes de Vérone lui rappelle ce passé.
Je veux lui montrer que si Adila se lance, tu peux plus l’arrêter ! Je vais toujours au bout des choses, quitte à finir sur les genoux. L’important, c’est de jamais abandonner. Sinon, pour sûr, je me ferai piétiner.
Il y a le sourire gras, le sourire souillé, le sourire précieux, le sourire poli. Mais le plus compliqué à réaliser, c’est le sourire instantané, celui qui sort d’un coup des tripes.
Les Lina ont la trentaine et sont mères de deux à trois enfants, bonne situation financière avec des conjoints qui travaillent beaucoup. Frustrées, mais toujours propres, elles ont arrêté de sourire il y a longtemps.
J’ouvre ma valise, et oui, j’ai toujours une perceuse sur moi. Je ne compte plus le nombre de trous faits dans des murs pour observer les voisins dans ce qu’ils ont de plus intime. Ce n’est pas du vice. Enfin, je suppose...
Je ne m’en fous pas de vos tristesses, de vos peurs, de vos manques, de vos bonheurs. Je dirais même… qu’ils m’attirent. Je ne suis simplement pas concernée, ni de près ni de loin.
Il est temps de partir. Je ne suis même pas fichu d’en faire un portrait-robot. Je n’ai pas retrouvé le rocher derrière lequel elle, suspendue, regardait l’Océan. Si ça se trouve, c’était une butte.
A peine allongée dans le lit les mots m'assaillent...
Ma chambre brillait de propreté, comme si elle avait voulu me faire disparaître. Chaque chambre a une odeur, des traces de vie sur le rebord du lavabo. Je me vois m’estomper à nouveau pour me rétablir encore dans la crasse de mon être, en laissant des poils et des cheveux sur le carrelage ou dans les draps, peu importe, là où il y a de la vie, il y a de la saleté.
Le carrelage vert de sable aux grains doux râpe la forme de mes pieds, sculpte un à un chacun de mes orteils. Je pourrais marcher sur la lande comme ça pour une éternité… Mais déjà l’eau de la douche se fracasse violemment sur ma peau et je rougeoie sous le ciel, des éclairs du sol au plafond, orage d’été, impossible à régler, la température de l’eau est glacée.
elle n’en est pas à sa première crise de paranoïa de la journée
L’écran de son portable indique trente messages envoyés
quatorze tentatives d’appel
et un appel reçu
Plus tu descends, plus t’assures; donc quand tu commences en haut, t’es rien, t’es juste une raclure.
Berlin s’apaise avec ce tapis soudain, épais. Il n’y a plus de bruit, du moins je ne l’entends pas. Je suis juste là, incapable de bouger, plantée au milieu de la rue, hagarde. J’essaie de retenir ce rêve de la nuit, de retenir son visage. Maintenir le sentiment vaporeux de l’amour.
Il y a peut-être un distributeur de boissons avec des sucreries dedans. Un jour, dans un distributeur comme ça, j’ai vu une pomme.
Quartier colline surplombant la ville,
Quartier vallonné avec ses terrasses bondées.
Je marche seul et c’est vain.
Plus tard dans la nuit, à quatre heures trente du matin j’aurai vraiment faim, de ces faims qui vous trouent le ventre, pas juste l’estomac, de celles qui remontent par l’œsophage pour finir par vous grignoter le cerveau, de ces faims qui peuvent rendre fou.
Pas étonnant que Karl soit si dur avec toi, il n’en peut plus de vivre avec une vieille femelle béluga.
Rideau du soir qui s’affaisse brutalement sur la fenêtre de mon arrivée – point de départ.
Je voudrais vider mon sac, me mettre en quête, m’installer, sortir, trouver des indices, interroger, rencontrer, manger, boire, me doucher, baiser ?
La chambre sent le rance, mais elle a une grande fenêtre.
La poussière n’a pas été faite depuis un moment, même moi je le vois.
Il y a une vilaine tache sur la moquette, juste là, au pied du lit.
Ça y est, je suis installé dans la chambre 708.
Ça n’a pas été une mince affaire.
Je suis venu dans cet hôtel pour cette chambre-là.
Je ne suis pas venu que pour ça.
Je suis nouvelle dans cet hôtel. J’ai passé mon entretien hier, derrière mon écran. Je m’étais mise dans la chambre des enfants parce que le salon était trop en bazar ; je pouvais même pas refermer le clic-clac où je dors, tellement y avait d’habits dessus qui attendaient d’être pliés.
L’isolement, je connais. Combien de fois ais-je été enfermée dans l’obscurité des chiottes à attendre que la tension redescende en pleurant en silence.
(FR) On roule jusqu’au bord de ma psyché. Les lumières de la ville se brisent soudainement contre l’orée invisible. Jour. Nuit.
(DE) Wir fahren bis an die Grenze meines Seelenlebens. Die Lichter der Stadt brechen sich plötzlich an dem unsichtbaren Rand. Tag. Nacht.
Hélène brûle de passer la frontière et aller voir de l’autre côté. Elle imagine une danse avec ces deux êtres qu’elle connaît à peine.
Brume sur champ de ruines
à mes pieds, la rosée
baignée des premiers rayons du soleil.
À quoi elle tenait cette femme-là, pour être si bien suspendue que ça ? À quoi elle tenait, je ne sais pas.
La nuit est mauve et je ne dors pas, j’ai oublié la douceur.
Chambre sur rue… Je n’en voulais pas.
Mon chemin se poursuit. Ma valise est ma seule bouée de sauvetage
Je sors de mon champ de bienveillance-résilience, bah oui. Y a pas mort d’homme, hein ? (Alors que de femmes… mais bon, autre sujet, autre sujet !)
(FR) Je reviens sur mes pas et entrouvre à nouveau la porte, croc de glace qui craque, pour l’accrocher.
(DE) Ich gehe zurück und öffne erneut einen Spaltbreit die Tür, das Knacken des zerbrechenden Eises, und hänge es raus.
Il l’a appelée Belloncée
Pourquoi pas
L’homme est satisfait
Ce soir, Alice, le manque d’amour m’écrase.
Dans l’escalier du deuxième, j’avais croisé une fille, pieds nus et en chemise de nuit, qui m'avait demandé à brûle-pourpoint si j’étais Belloncée. Je lui avais dit que non. C’est bizarre, avait-elle dit en me dévisageant, j’aurais juré que c’était vous.
(FR) J’essaie de t’écrire une lettre. Il faut que je t’envoie ce deuxième plan de la serre et que j’invente une recette ou une histoire de légumes… J’aurais aimé que tu sois quelqu’un d’autre.
(DE) Ich versuche, dir einen Brief zu schreiben. Ich muss dir den zweiten Plan für das Gewächshaus schicken und mir ein Rezept oder irgendwas mit Gemüse ausdenken … Mir wäre lieber gewesen, du wärst jemand anders.
Eva observe l’image de son amant s’effacer et respire.
Une rangée de timbales en plastique, alignées par dégradés de couleurs, bleu, rouge, rose, vert, essayait de mettre un peu d’ordre à ce flot d’objets. Pendues à des fils au plafond, des baskets usées balançaient leur solitude dans le vide.
(FR) Devant la chambre 19. Il y a cette jeune femme pieds nus en chemise de nuit, avec anorak fluo et forte odeur de transpiration.
(DE) Zimmer 19. Die junge Frau barfuß im Nachthemd, mit leuchtendem Anorak und starkem Schweißgeruch.
Je m’étais arrogée son prénom par effraction et je me promenais maintenant dans les couloirs de l’hôtel dans un corps qui n’était plus tout à fait le mien.
(FR) Il parait que les araignées possèdent huit yeux. En cet instant, ils sont tous fixés sur moi.
(DE) Ich habe mal gehört, Spinnen hätten acht Augen. In diesem Augenblick starren sie mich alle an.
(FR) La femme brune, l’homme au chapeau et la femme blonde ont dansé toute la nuit.
(DE) Die braunhaarige Frau, der Mann mit dem Hut und die blonde Frau haben die ganze Nacht getanzt.
(FR) Couloir du premier étage : Trois clés parfaitement identiques accrochées à un porte-clés représentant le robot R2D2 dans Star Wars.
(DE) Korridor im ersten Stock: Drei vollkommen identische Schlüssel an einem Schlüsselanhänger, der den Roboter R2-D2 aus Star Wars darstellt.
(FR) En traversant le jardin pour aller dans la verrière, j’ai vu un poisson qui nageait en rond dans le bassin central.
(DE) Als ich auf dem Weg zum Wintergarten den Außenbereich durchquerte, habe ich im mittleren Schwimmbecken einen Fisch im Kreis schwimmen gesehen.
(FR) Sur le lit encore défait, une chemise blanche avec un col à jabot.
(DE) Auf dem noch ungemachten Bett eine weiße Bluse mit Rüschenkragen.
Un passeport au nom de Monsieur Jean-Charles T.
(FR) Chambre 84 : Une histoire d’adultère
(DE) Zimmer 84: Eine Ehebruch-Angelegenheit
(FR) Cour de l’Hôtel : Un hareng très abîmé / Une queue de lézard vert
(DE) Innenhof des Hotels: Ein vergammelter Hering / Ein grüner Eidechsenschwanz
(FR) Chambre 17: Un vieux pantalon de jogging maculé de boue jusqu’aux genoux
(DE) Zimmer 17: Eine alte Jogginghose, die bis zu den Knien mit Schlamm befleckt ist
(FR) Réception : Cinq emballages vide de Yum-Yum goût poulet
(DE) Rezeption: Fünf leere Packungen Yum-Yum mit Hühnchengeschmack
(FR) Chambre 44 (la chambre au parquet) : Un objet puissant et éphémère
(DE) Zimmer 44 (das Zimmer mit dem Parkettboden): ein ausdrucksstarkes und vergängliches Objekt.
(FR) J’ai repêché une vieille basket au fond de la piscine. Pas de poisson
(DE) Ich fischte einen alten Turnschuh vom Grund des Pools. Kein Fisch.
(FR) Dortoir du premier : Une couverture thermique/ Un thermomètre / Un masque gris
(DE) Schlafsaal im ersten Stock: Eine Wärmedecke / Ein Thermometer / Eine graue Maske
(FR) Dépassant sous la porte de la chambre 75: Une photo de vieille femme aux cheveux verts
(DE) Ragt unter der Tür von Zimmer 75 hervor: Das Foto einer alten Frau mit grünen Haaren
Une paire de lunettes cassées. Trois passeports très abîmés.
(FR) Inévitablement, lorsque j'insère cette petite carte-clé dans la porte de mon antre temporaire, je ressens le high de la chambre d'hôtel.
(DE) Als ich die kleine Zimmerkarte in die Tür meines Refugiums auf Zeit stecke, spüre ich wie von selbst dieses Hotelzimmer-High aufkommen.
(FR) Non, on ne peut vraiment pas dire que les gens aient leur chambre à soie en ce moment.
S-o-i-e.
(DE) Nein, man kann wirklich nicht behaupten, dass die Menschen in dieser Zeit ein Zimmer für sich allein haben. Für SIE allein.
Je n’avais aucune envie de regagner ma chambre. Le hall était désert, les comptoirs vides. La veille, lorsque je m’étais présentée à la réception vers midi, je n’avais aperçu qu’une dizaine de noms sur le registre. Ces dix personnes étaient-elles confinées dans leurs chambres, ce soir ?
(FR) Je n’avais pas pensé à cette possibilité. Une chambre ouest. Ni lac, ni lumière. Pas même un coucher de soleil. Trou noir.
(DE) Das habe ich nicht bedacht. Ein Zimmer nach Westen. Weder See noch Licht. Nicht einmal ein Sonnenuntergang. Dunkles Loch.
J’ai aimé nos foulées dans les couloirs désertiques de l'hôtel, nos entrées indiscrètes dans les cuisines pour dérober des sucreries avant de partir en courant dans les dédales des escaliers et des souterrains obscurs.
(FR) Je suis sûre qu’il est nul ton secret. De toute façon, tout est nul dans cet hôtel.
(DE) Dein Geheimnis ist bestimmt langweilig. Sowieso ist in diesem Hotel alles langweilig.
(FR) Une table en formica ? Mais plus personne n’a de meubles en formica aujourd’hui ! Et moi je vous le dis, formica, ça me fait penser tout de suite à fornication. Allez, on baise ? Ahahaha ! vous n’êtes pas trop vieille, vous savez…
(DE) Einen Formica-Tisch? Solche Möbel hat doch heute keiner mehr. Und ich sage Ihnen, Formica, da muss ich gleich an die Karnickel denken. Also, was ist, vögeln wir? Hahahaha! Sie sind keineswegs zu alt, wissen Sie …